Devant la résistance de ses citoyens pour l’option du gazon synthétique pour son nouveau terrain de soccer, la Ville de Sherbrooke s’est tournée vers le LIRIDE, qui a prouvé que le terrain synthétique avait un peu plus d’avantages que le terrain naturel. (Photo: Adobe Stock)
GÉNIE-CONSEIL. Tout le monde s’entend pour dire que les projets d’infrastructures publics ne peuvent plus se faire en « silo », surtout lorsqu’on veut mettre le développement durable à l’avant-plan. Conseils aux villes et aux grands donneurs d’ordre pour prendre en considération toutes les parties prenantes.
En 2021, la Ville de Sherbrooke pensait avoir entre les mains un projet d’ingénierie « classique », sans grande complication : un terrain de soccer en gazon synthétique, comme il en existe déjà dans plusieurs villes québécoises. Les événements ont toutefois pris une autre tournure. Lors de la consultation, les citoyens ont tellement fait preuve de résistance envers l’option « synthétique » que la Ville a décidé de se tourner vers le Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie durable et en écoconception (LIRIDE) pour trouver des arguments à son projet.
Un sujet à creuser
« En regardant la question de plus près, nous nous sommes rendu compte que l’impact des terrains synthétiques était mal documenté », raconte Ben Amor, directeur du LIRIDE. Le Laboratoire a dès lors composé une équipe de chercheurs pour « maximiser la collecte d’information ». L’objectif était de mesurer les effets sur l’environnement et sur la santé, tout en calculant les coûts réels d’entretien d’un tel terrain.
Dans la foulée, le Laboratoire s’est aussi adjoint l’aide d’un spécialiste en éthique appliquée afin de mettre en place un cadre méthodologique pour obtenir des réponses « neutres » et éviter de rendre le débat « émotionnel ». « En fin de compte, nous avons pu démontrer que le terrain synthétique présentait un peu plus d’avantages que le terrain naturel. Quand on a montré les résultats de notre analyse, on a vu que l’accessibilité sociale a été plus grande auprès de la population. »
« Si on parle de projets publics dans les villes, un élément important est la transparence, confirme Olivier Joyal, vice-président régional de la firme WSP pour le Québec. Une erreur qui a été faite dans le passé, c’était de communiquer un projet en minimisant les impacts qu’il peut avoir. » Aujourd’hui, les spécialistes en communication ont plutôt le rôle de mettre en place un dialogue avec les citoyens afin de pouvoir les comprendre et les « analyser ». Olivier Joyal rappelle que WSP a envoyé un signal fort au marché en acquérant l’agence de communication Communica, spécialisée en acceptabilité sociale. « Pour mitiger les impacts d’un projet, il faut se rapporter à la science et cela inclut les sciences sociales », fait valoir le VP québécois.
Récemment, WSP a d’ailleurs pu mettre en pratique les principes du « design inclusif » dans le cadre du projet de ligne à grande vitesse HS2 entre Londres et les Midlands. Avant que les ingénieurs fassent les plans et devis pour savoir comment ils allaient concevoir la gare de train, ils ont rencontré des gens qui avaient des handicaps mentaux ou physiques et ils les ont questionnés pour savoir comment ils se repéraient dans une gare. « Le design inclusif, c’est un peu plus cher, ça demande un plus de planification, mais je crois que c’est le futur de la conception », dit avec conviction Olivier Joyal.
Selon lui, les élus et les conseils d’administration des entreprises sont aussi beaucoup plus proactifs sur la question de la biodiversité. « Ils se demandent : “quels sont les impacts de mon projet sur les milieux humides, sur la faune et sur les populations animales, etc.” Ils veulent rencontrer des biologistes qui vont leur expliquer comment accélérer la mise en place de programmes de résilience climatique. Ça, c’est quelque chose qu’on ne voyait pas, il y a 20 ans. »
L’art d’écouter… ses propres membres
Quand on pense aux « parties prenantes », on pense généralement aux citoyens ou aux utilisateurs finaux d’une infrastructure, qui doivent avoir leur mot à dire. Or, il n’y a pas qu’eux à prendre en compte dans la boucle de « rétroaction ». Les acteurs « internes » d’une ville doivent aussi se parler entre eux.
« Lors de la planification des travaux, on ne doit pas se retrouver avec chaque silo qui donne sa liste d’épicerie au directeur général, explique Bernard Gaudreault, directeur de la gestion des actifs à Norda Stelo. Tous les services de la Ville — les loisirs, l’ingénierie, les travaux publics — doivent s’asseoir ensemble et planifier les travaux de façon collaborative. Il y a moins de chance de développer des problèmes de silo. » Le directeur cite l’exemple populaire d’une ville qui creuse une rue pour refaire l’aqueduc, moins de deux ans après avoir posé une chaussée neuve… Un exemple contre-
productif, s’il en est.