Selon l’ordre des ingénieurs du Québec, ce sont entre 20 % et 30 % des nouvelles personnes admises dans la profession qui ont été formées à l’étranger. (Photo: 123RF)
GÉNIE-CONSEIL. Depuis que les gouvernements et les grands fonds d’investissement ont mis la transition écologique à l’ordre du jour, il n’est plus possible de concevoir un projet public ou privé de la même manière. Les professionnels du génie-conseil doivent trouver des réponses « techniques » tout en tenant compte de facteurs sociaux, environnementaux et économiques qui dépassent largement leur profession.
« Les entreprises qui se sont fixé des cibles de décarbonation pour 2035 se rendent soudainement compte que cette échéance, c’est demain matin », lance Olivier Joyal, vice-président régional de WSP pour le Québec. De ce fait, elles comprennent qu’elles devront investir « massivement » en innovation pour y arriver. Les gouvernements n’ont pas été avares d’engagements eux non plus. Outre la conscientisation du public quant aux changements climatiques et la pression financière qui s’exerce sur ces derniers et sur les villes pour s’adapter aux aléas de la nature, ce sentiment d’urgence explique l’accélération actuelle des projets durables dans les secteurs public et privé. « Sur la côte ouest-américaine, il y a actuellement trois millions de maisons qui ne sont plus assurables. Ça bouleverse un modèle économique », note le VP québécois.
Et vers qui se tourne-t-on pour résoudre ces problèmes ? Les firmes de génie, pour une large part. Toutefois, elles doivent agir en adaptant leurs manières de travailler à la lumière des nouveaux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) adoptés par les entreprises sous la pression du secteur financier.
« La grande évolution des dernières années a été la mise en place de critères standardisés », convient Olivier Joyal. Or, le grand changement sociétal attendu ne viendra peut-être pas de ces fameux critères. « Dans plusieurs entreprises, c’est devenu un exercice comptable. » Selon lui, l’avenir se trouve davantage dans le « financement d’impact », où des investisseurs juge le mérite d’un projet sur des critères d’inclusivité, de biodiversité, d’environnement, etc. « C’est le terme sur les lèvres de tous les grands financiers », assure-t-il.
Pour prendre le virage durable, le monde du génie doit revoir sa manière de penser et de mettre en œuvre ses projets. D’une part, le souci d’acceptabilité sociale ouvre la voie à une pratique du génie axée sur l’« interdisciplinarité » afin d’évaluer toutes les répercussions d’un projet. Ensuite, de nouveaux modes de réalisation « collaboratifs » sont de plus en plus discutés pour mieux répartir le risque financier des projets innovants. « Ils offrent un potentiel intéressant de mieux faire les choses », croit Bernard Bigras, PDG de l’Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG). « Un des éléments essentiels pour assurer la conception de projets durables sera d’impliquer les professionnels du génie-conseil tôt dans le processus et de les laisser rechercher les meilleures solutions », insiste-t-il.
Réconcilier durabilité et profitabilité
Tout bénéfique soit-il, le virage écologique entraîne une pression financière dans plusieurs sphères d’activité. Les industries lourdes, pour leur part, se grattent la tête pour savoir comment respecter leur plan de décarbonation. « Dans l’industrie métallurgique, on ne peut pas juste changer un combustible pour un autre sans regarder l’ensemble des opérations, puis la configuration des équipements », prévient Stéphane Charest, vice-président à la décarbonation, aux énergies et aux produits chimiques de la firme de génie-conseil BBA.
Malgré tout, le VP se dit optimiste quant à la capacité des industries lourdes à négocier le virage. « Je vois un changement significatif dans la volonté de faire les choses autrement », dit-il. Tout en demeurant compétitives par rapport aux marchés « moins matures » sur la question du développement durable, précise-t-il. « C’est là qu’interviennent l’innovation et le génie ; nous accompagnons nos clients pour trouver des énergies alternatives tout en maintenant leur profitabilité. »
Trois tendances du génie en 2024
1. Évolution des modes de réalisation des projets
« Les modes de réalisation des projets d’infrastructures sont appelés à évoluer, dit Bernard Bigras, PDG de l’AFG. L’introduction de contrats de partenariat avec le projet de loi 62 et la création de Mobilité Infra Québec avec le projet de loi 61 illustrent cette tendance. »
2. Plus de diversité en génie
Annuellement, entre 20 % et 30 % des nouvelles personnes admises au sein de la profession d’ingénieur ont été formées à l’étranger, soutient l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). Dans la dernière année, l’OIQ a publié le « Guide de l’employeur pour l’inclusion en génie », qui propose des « solutions concrètes » pour favoriser l’inclusion dans les milieux de travail.
3. Vers une pratique interdisciplinaire
« L’information est beaucoup plus accessible. Les projets se font critiquer davantage. Les gens cherchent des expertises pour répondre à des questions complexes, et donc, le génie doit se tourner vers une approche interdisciplinaire », dit Ben Amor, directeur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie et en écoconception.