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Devenir le patron de nos amis sans accroc

Catherine Charron|Édition de la mi‑octobre 2024

Devenir le patron de nos amis sans accroc

L’employé a également une part de responsabilité dans le fonctionnement de cette collaboration, qui requiert de la maturité émotionnelle de la part des deux parties. (Photo: Adobe Stock)

Lorsque des chercheurs britanniques et australiens ont demandé à des professionnels nouvellement devenus gestionnaires de leur équipe comment ils parvenaient à jongler avec leurs chapeaux de patron et d’ami, ils ont fait un constat alarmant : 90 % des 400 répondants ont dit éprouver de la difficulté.

Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Vincent, ancien directeur adjoint d’une division dans une société parapublique. Autant cette proximité lui a-t-elle permis d’adapter son style de leadership afin que ses collègues s’épanouissent, autant elle lui a posé des défis lorsqu’il a appris que le rendement d’une amie n’était pas à la hauteur des attentes au moment d’entrer en poste.

Un peu naïvement, admet-il, il pensait qu’en se préparant de façon diligente à cette rencontre difficile et en y présentant les raisons factuelles derrière, elle se déroulerait en toute camaraderie. « J’ai cru qu’elle ne se sentirait pas trahie si je faisais bien mon travail. Mais non, c’est normal, dit-il. Ça a pris près d’un mois avant qu’on puisse se reparler. »

Devenir gestionnaire est un apprentissage en soi, rappelle Julie Lajoie, consultante chez Joie conseils. La donne est d’autant plus complexe lorsque nos employés étaient jusqu’à la nomination des proches.

« La première fois qu’on m’a confié un poste de leadership à la tête d’une équipe composée d’amis et de personnes plus âgées que moi, ça faisait deux ans que j’étais diplômée en gestion. Je me sentais outillée, mais j’avais des angles morts », se remémore-t-elle.

Délicate, l’opération n’est pas pour autant impossible, précisent les trois expertes consultées.

« J’interviens dans des équipes qui se trouvent dans de petites communautés isolées, là où les gens n’ont pas le choix d’apprendre à vivre avec cette réalité-là. Ça finit toujours par se placer », indique Maryse Shaffer, psychologue organisationnelle et coach professionnelle certifiée basée à Chicoutimi.

Créer un cadre

Pour ce faire, les paramètres de la nouvelle relation au travail doivent être vite définis.

« On peut y aller de façon très humaine, expliquer comment on se sent, s’informer sur la manière dont l’autre vit la situation, et clarifier quand on porte sa casquette de gestionnaire et sa casquette d’ami. On ne veut pas que ça crée des froids, mais on doit incarner son rôle », dit Geneviève Dicaire, conseillère de gestion d’affaires à Unique coaching.

Avant de se lancer, Julie Lajoie suggère toutefois au nouveau leader, surtout si c’est la première fois qu’il campe un tel poste, d’en parler avec son propre supérieur afin de comprendre les limites qu’il doit respecter, et de se faire épauler.

« Je ne sais pas si j’aurais pu, à 26 ans, avoir une telle discussion avec mon amie. Je ne savais pas ce qui m’attendait et quels étaient les pièges qui surviendraient, comme son mécontentement après mon refus de lui accorder des vacances par souci d’équité », dit celle qui accompagne désormais des gestionnaires dans leur parcours.

L’employé a également une part de responsabilité dans le fonctionnement de cette collaboration, qui requiert de la maturité émotionnelle de la part des deux parties.

« Les relations de subordination entre des amis où ce n’est pas un enjeu, c’est entre deux personnes qui sont capables d’avoir une bonne communication, qui comprennent que les rôles sont différents maintenant », dit la psychologue organisationnelle.

Par la suite, le dirigeant doit échanger avec ses nouveaux employés afin de leur expliquer le style de leadership qu’il souhaite apporter, mais aussi mitiger les attentes.

« Des fois, les collègues qui ont des insatisfactions espèrent que son ancien coéquipier règle tous les problèmes. Souvent, on pense avoir plus d’influence, mais on réalise qu’on n’a pas autant de contrôle que ça », nuance Julie Lajoie.

Éviter toute apparence de conflit d’intérêts

Malgré tous les efforts du nouveau gestionnaire pour traiter équitablement les membres de son équipe, il se peut très bien que certains dénoncent un manque d’impartialité ou une apparence de conflit d’intérêts, prévient Maryse Shaffer, elle qui est aussi coach de gestion.

« On ne peut contrôler ce que les gens s’imaginent. Si le leader passe le week-end avec son ami, il peut croire que des choses s’y sont dites, même si ce n’est pas vrai », illustre-t-elle.

Tisser des liens avec ses nouveaux subordonnés, en allant par exemple dîner avec eux et non pas qu’avec ses proches, atténuera les risques, selon Geneviève Dicaire.

Ouvrir son réseau au sein de l’entreprise afin d’y inclure d’autres gestionnaires aussi. Ce sont eux, dorénavant, qui pourront réellement servir de confidents au leader, de personnes-ressources avec qui ventiler ou partager des idées, et non plus l’ami vers qui il avait l’habitude de se tourner.

Ce n’est toutefois pas chose facile, d’après les auteurs de l’étude dont les résultats ont été publiés dans la Harvard Business Review en 2020 ; la plupart des répondants ont dit retomber dans leurs vieux réflexes, surtout lorsqu’ils étaient stressés ou en colère.

S’entourer au moment d’avoir des conversations difficiles

Faire une intervention pour redresser la performance d’un collaborateur ou lui annoncer son renvoi est un exercice qui, en temps normal, peut générer son lot d’inconfort. Ce l’est d’autant plus lorsqu’un lien spécial unit la personne à son gestionnaire.

« Le leader peut se demander quel impact la discussion aura sur leur amitié », illustre Maryse Shaffer.
Julie Lajoie espère que l’employeur offrira de l’aide au nouveau gestionnaire afin de l’outiller le plus possible, quitte à l’offrir avant son entrée en fonction.

Le dirigeant doit s’en tenir aux faits lors de l’annonce. « Ça ne veut pas dire d’être froid ou distant, nuance la psychologue organisationnelle. Dans certains contextes, ça peut même être nécessaire que quelqu’un d’autre transmette le message, selon la culture de l’organisation. »

Geneviève Dicaire recommande d’être accompagné, que ce soit de son propre supérieur ou d’un professionnel RH, au moment d’avoir cette discussion.