«Doit-on réellement, en tant que fondateur, se retirer et laisser des gestionnaires prendre le contrôle, ou au contraire, rester impliqué, profondément enraciné dans les décisions de l’entreprise, pour s’assurer que celle-ci garde le cap et notre vision?» (Photo: Paul Hanaoka pour unsplash.com)
EXPERT INVITÉ. Avez-vous entendu parler du dernier essai écrit par Paul Graham, le célèbre fondateur d’Y Combinator, qui s’intitule Founder Mode? Si ce n’est pas le cas, c’est probablement que vous ne gravitez pas dans l’écosystème start-up, car c’est tellement gros qu’on peut déjà imaginer le prochain livre sur le sujet.
La question qu’amène Paul Graham dans son blogue est ultra importante: doit-on réellement, en tant que fondateur, se retirer et laisser des gestionnaires prendre le contrôle, ou au contraire, rester impliqué, profondément enraciné dans les décisions de l’entreprise, pour s’assurer que celle-ci garde le cap et notre vision. J’ai personnellement eu ce même questionnement et ressenti une pression à céder ma place ces dernières années. En effet, avec la croissance de l’entreprise, je craignais que mes super pouvoirs de fondateurs se transforment soudainement en distraction pour mes équipes et on me soufflait parfois à l’oreille que je n’étais vraiment pas un super-gestionnaire.
Paul Graham explique bien ce dilemme dans son essai. Lorsque les fondateurs s’éloignent de leur propre entreprise, il y a un réel danger que la vision originale disparaisse et que l’entreprise perde ce qui la rendait unique. Ce n’est pas un mythe. C’est un piège dans lequel bien des fondateurs tombent et dans lequel je suis personnellement aussi tombé.
Fondateurs, vous êtes le cœur de votre entreprise!
Le mode fondateur et le mode gestionnaire représentent deux philosophies de leadership totalement différentes. Dans le mode fondateur, le fondateur reste étroitement impliqué dans l’entreprise, participe activement aux réunions de niveau hiérarchique supérieur et veille à ce qu’aucune partie de l’entreprise ne s’écarte de sa vision initiale. Cette approche ne consiste pas à faire de la microgestion pour le contrôle, mais à préserver la vision et l’intégrité de l’entreprise. Le fondateur agit en tant que leader pratique, sachant que chaque décision peut faire ou défaire la trajectoire de l’entreprise.
Le mode gestionnaire, lui, pousse les fondateurs à prendre du recul et à laisser leurs gestionnaires diriger l’entreprise. Il repose sur l’idée que les dirigeants doivent déléguer les responsabilités et faire confiance à leurs équipes pour gérer les détails. Très souvent, le tout se reflète par des investisseurs ou des conseillers qui diront au fondateur de «laisser faire les pros» et de rester 100% stratégique. Mais la réalité est que ce modèle traditionnel conduit souvent à la déconnexion et au désengagement. Lorsque les fondateurs cèdent trop de contrôle, ils risquent de perdre l’essence même qui a fait le succès de l’entreprise et une partie de leur motivation.
Dans mon cas, quand j’ai pris un peu de distance avec l’entreprise, pensant que cela permettrait à mon équipe de prendre des décisions en toute autonomie, j’ai vu quelque chose de crucial se perdre. L’alignement stratégique a commencé à s’effriter. Les décisions qui étaient prises n’étaient plus entièrement en phase avec la vision initiale. C’est là que j’ai compris que mon rôle ne consistait pas seulement à déléguer, mais à rester impliqué dans les aspects les plus importants de l’entreprise, ceux qui la définissent.
Les dangers du mode gestionnaire
L’essai de Paul Graham a été inspiré par une récente conférence donnée par Brian Chesky, le fondateur d’Airbnb, lors d’un événement du Y Combinator. Il y parlait des pièges de la sagesse conventionnelle suggérant aux fondateurs de faire appel à des gestionnaires expérimentés pour développer leur entreprise.
«Embauchez de bonnes personnes et laissez-leur la place de faire leur travail. Cela semble avoir du sens, n’est-ce pas? Mais en pratique, à en juger par les rapports des fondateurs les uns après les autres, cela signifie souvent embaucher des imposteurs professionnels et les laisser conduire l’entreprise à la faillite. » – Paul Graham
Si vous, en tant que fondateur ou PDG, choisissez le mode gestionnaire, vous devez être conscient que vous prenez un risque énorme. Bien que sur papier, cela a tout à fait du sens d’embaucher des gens plus intelligents que vous et de déléguer un maximum de responsabilités et laisser d’autres prendre les choses en main, cette approche peut entraîner une perte de direction ET une perte totale d’engagement. N’oubliez pas… Les personnes intéressées font ce qui leur convient et les personnes engagées font tout ce qu’il faut. Les cadres intermédiaires n’ont souvent pas la compréhension intime de la mission de l’entreprise dont dispose le fondateur, ce qui peut conduire à des interprétations erronées et à des décisions malavisées. L’esprit d’entreprise qui a alimenté le succès initial de l’entreprise peut être rapidement étouffé par des couches bureaucratiques. Et finalement, personne n’aimera votre entreprise comme vous. Personne.
En effet, lorsque les fondateurs se retirent trop tôt ou délèguent à des gestionnaires qui n’ont pas une compréhension profonde de la mission et des valeurs de l’entreprise, celle-ci peut rapidement perdre de sa direction. J’ai vu cela se produire à maintes reprises. Et comme le souligne Paul Graham, trop souvent, les fondateurs finissent par embaucher des gestionnaires compétents sur le papier, mais qui n’ont pas la passion ni la compréhension nécessaire pour véritablement faire avancer l’entreprise. En conséquence, l’entreprise s’égare ou s’effondre, et la vision du fondateur s’estompe.
Au-delà de l’opinion assez ferme de Paul Graham, c’est aussi ce que révèle une étude menée par Fortune qui a comparé les deux modes en examinant 22 entreprises du classement Fortune 500 toujours dirigées par des fondateurs. Elle conclut que «la supériorité des fondateurs-PDG est époustouflante».
L’équilibre entre implication et délégation
Le vrai défi pour les fondateurs, c’est de trouver cet équilibre entre le contrôle direct et la délégation. Embaucher des personnes plus qualifiées que soi est une nécessité pour faire grandir une entreprise. Mais cela ne doit pas signifier que le fondateur se retire complètement du processus décisionnel. Il y a une différence fondamentale entre déléguer et abandonner.
J’ai toujours embauché des gens plus compétents que moi dans des domaines spécifiques. C’est ce qui permet à l’entreprise de croître et de se diversifier. Mais cela ne signifie pas que je peux m’éloigner. Rester impliqué ne signifie pas être partout, tout le temps. Cela signifie être présent lorsque cela compte le plus, être le gardien de la mission et de la vision de l’entreprise et malheureusement, je l’ai parfois oublié en confiant le contrôle de l’entreprise à des gestionnaires.
Je ne peux donc qu’être en accord avec Paul Graham: trop de fondateurs adoptent le «mode gestionnaire» trop tôt, pensant qu’ils doivent céder le contrôle à des professionnels qui feront mieux qu’eux et s’assureront du succès de l’entreprise. Toutefois, le fondateur a un rôle unique à jouer, un rôle que personne d’autre ne peut assumer. Le fondateur est celui qui porte la vision, celui qui a la capacité de maintenir l’entreprise alignée sur ses valeurs, même lorsqu’elle grandit.
L’importance de l’implication du fondateur
Le mode fondateur n’est pas une excuse pour de la microgestion. Il s’agit de rester connecté à ce qui compte vraiment. Cela signifie participer aux décisions critiques, influencer les aspects clés de l’entreprise et s’assurer que l’esprit entrepreneurial qui a permis le succès initial de l’entreprise ne se perde pas dans les méandres de la gestion quotidienne.
Prenons l’exemple de Steve Jobs d’Apple, souvent critiqué pour être un microgestionnaire. Cependant, c’est justement son attention méticuleuse aux détails et son engagement constant qui ont permis à Apple de rester un leader dans son domaine. Jobs n’était pas un gestionnaire classique. Il n’était pas distant. Il était profondément impliqué dans tous les aspects clés de l’entreprise, et c’est cette implication qui a fait la différence.
Pour moi, c’est ce qui fait la force d’un bon fondateur. Ne pas se retirer sous prétexte de délégation, mais être présent là où c’est essentiel. C’est un équilibre à trouver, et cela demande de la discipline et de la vision.
Adopter le mode fondateur pour une croissance durable
Le mode fondateur ne consiste pas à tout contrôler, mais à s’assurer que les décisions critiques restent alignées sur la mission et les valeurs de l’entreprise. Il s’agit de trouver cet équilibre entre déléguer et rester engagé, entre faire confiance à son équipe et s’assurer que la vision reste intacte.
Pour les fondateurs et les PDG, la clé du succès ne réside pas dans l’un ou l’autre de ces modes, mais dans la capacité à naviguer entre les deux. Savoir quand déléguer et quand s’impliquer, savoir quand laisser son équipe prendre des décisions et quand intervenir pour protéger la vision. C’est cet équilibre qui permet aux entreprises de prospérer sur le long terme.
Adopter le mode fondateur, c’est comprendre que la croissance durable nécessite un leadership visionnaire, mais aussi une présence stratégique. C’est savoir que déléguer ne signifie pas s’effacer, et qu’un fondateur doit toujours être là pour guider son entreprise, même à distance.