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Ne perdez pas l’expert derrière le gestionnaire

Catherine Charron|Édition de la mi‑septembre 2024

Ne perdez pas l’expert derrière le gestionnaire

Les responsables des ressources humaines doivent assurer un suivi ponctuel afin de s’assurer que la transition se passe sans heurts. (Photo: Adobe Stock)

Après avoir campé pendant plus de 20 ans le rôle de gestionnaire chez Altrum, une PME qui aide les entreprises à souligner les efforts des employés, Annie Breton s’est rendue à l’évidence : cette fonction ne l’allumait plus comme avant.

Plutôt que de voir si l’herbe était plus verte ailleurs, elle s’est tournée vers son patron, le PDG de l’organisation. Il lui a alors proposé de participer au développement de la nouvelle offre de service qu’il mijotait. « Ça représentait un défi de taille. Ça me motivait. Là, j’ai recommencé à très bien dormir », dit-elle, sept ans plus tard.

Des histoires comme celle-là pourraient bien se multiplier, qu’il s’agisse d’une personne qui souhaite contribuer de manière différente à son organisation alors que la fin de sa carrière approche ou d’une autre qui veut prioriser l’équilibre entre son boulot et sa vie personnelle.

« Lorsqu’on recoupe ce désir [d’équilibre] avec l’ambition, on voit plus loin que l’ascension hiérarchique, observe Marie-Pier Bédard, vice-présidente exécutive de la société spécialiste du recrutement Randstad. La gestion est moins associée à la liberté et à la flexibilité souhaitées. »

Quitter la fonction de leader et demeurer au sein de la même entreprise est réaliste, confirme Jeannette Boulanger, associée en services-conseils chez Raymond Chabot Grant Thornton. Au cours de sa carrière, elle a été témoin de plusieurs transitions de la sorte qui se sont bien déroulées. Elle ne doute cependant pas que certaines se passent moins bien, d’où l’importance de jouer judicieusement ses cartes.

Établir un plan de match

Lorsqu’un gestionnaire signifie son intention de passer le flambeau, Marie-Pier Bédard recommande à l’organisation d’accueillir avec bienveillance la transparence dont il fait preuve. « C’est un cadeau, car on peut accompagner la personne, la soutenir et la garder avec nous. Autrement, on risque de la perdre, elle et son expertise. »

Annie Breton confirme : « J’étais rendue à l’étape où soit j’en parlais et je voyais ce qui se passait, soit je démissionnais. »

Encore faut-il que l’entreprise ait un poste libre ou la possibilité de modifier son organigramme afin de l’accommoder. Ce qui n’est pas toujours le cas.

Lorsqu’une telle transition est envisageable, la définition du rôle et des responsabilités de l’individu et de la personne qui la remplacera sera primordiale.

« On ne voudrait pas que l’employé ne laisse pas aller ses anciennes tâches malgré son changement de titre », indique Jeannette Boulanger.

Comme l’ex-gestionnaire demeure dans l’entreprise avec la mine d’or de connaissances qu’il détient, il peut servir momentanément de mentor pour faciliter la passation.

Peaufiner le message

Afin que la transition se déroule sans pépins, l’employeur doit faire attention à ce qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, en commençant par rassurer les troupes que menait jusqu’ici le gestionnaire. Qu’il soit positif ou négatif, un changement risque de les bouleverser et de les démobiliser, prévient Jeannette Boulanger.

« Lorsqu’on a le même gestionnaire depuis de nombreuses années, son départ peut être insécurisant, observe-t-elle. L’employeur doit être à l’écoute, appréhender les craintes et démontrer que le remplaçant sera celui qui s’intégrera le mieux à l’équipe. »

Gommer toute confusion à l’égard du rôle de l’ancien leader et son successeur sera primordial. Les responsabilités de chacun peuvent être sommairement communiquées au reste de l’entreprise.

« On peut même faire un arbre décisionnel pour aider les employés à naviguer. On y indiquerait à qui la personne pourrait se référer, selon la situation », ajoute l’associée de Raymond Chabot Grant Thornton.

Le gestionnaire sortant doit aussi renvoyer à son remplaçant les requêtes qui lui sont acheminées par erreur, afin de clarifier ce qui relève de quelle juridiction, renchérit Marie-Pier Bédard.

Expliciter les raisons qui justifient ce départ est à la discrétion des intéressés et de l’organisation.

« Ça peut démontrer qu’on revalorise les talents et leurs compétences qui sont transférables d’un rôle à l’autre, indique Jeannette Boulanger. On ne doit pas donner l’impression que c’est une rétrogradation, à moins que ça n’en soit une. »

Certes, Annie Breton a craint que sa nouvelle fonction soit considérée comme telle par ses collègues. Elle a toutefois vite chassé cette idée de son esprit. « Je connais ma valeur. Les gens penseront ce qu’ils voudront. On n’a rien à leur prouver. Souvent, ces commentaires surviennent à court terme. Il ne faut pas se laisser affecter », rappelle-t-elle.

Suivre l’évolution

Jeannette Boulanger invite les responsables des ressources humaines à effectuer un suivi ponctuel afin de s’assurer que la transition se passe sans heurts.

Annie Breton a par exemple eu à s’adapter au fait de ne plus entretenir un lien direct au quotidien avec les membres de la direction qu’elle a côtoyés pendant 20 ans. « C’est un deuil que j’ai eu à faire. Il faut constamment se rappeler les raisons qui ont motivé notre décision. La première année a été la plus difficile », reconnaît celle qui ne reviendrait pas en arrière.

L’entreprise devra aussi se demander si cette organisation du travail lui convient toujours.

« Si c’est dans le cadre d’une fin de carrière, la direction doit être transparente quant à ses attentes. Si au bout de deux ans, on se rend compte qu’il n’y a pas vraiment de plus-value à ce poste-là, il faut prévoir une sortie en bonne et due forme », indique Jeannette Boulanger.

Elle est toutefois d’avis que ce chemin encore peu emprunté a, en fin de compte, des retombées positives pour toutes les parties. « Ça démontre une ouverture à la diversité que de permettre à une personne qui est plutôt en fin de carrière ou qui a occupé un poste de dirigeant de continuer à offrir différemment son savoir et ses compétences acquises au fils des ans. »

« C’est beau de rester au sein d’une organisation qui te donne la chance d’évoluer selon tes besoins, de s’adapter, estime Annie Breton, qui invite les entreprises à écouter davantage leurs employés. Les bonnes ressources, il faut tenter de les garder. »