«Personne n’est fautif, et bien évidemment, on se renvoie la balle!» (Photo: Adobe Stock)
EXPERT INVITÉ. Avez-vous déjà entendu l’excellente blague du ministre de l’Éducation pour justifier l’adoption du projet de Loi 47? «La priorité des priorités, c’est la sécurité de nos enfants», déclarait par communiqué le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, le 6 décembre 2023. Cette blague caquiste s’inscrivait et s’inscrit toujours dans la vision du premier ministre François Legault qui, dès son discours inaugural de son gouvernement en 2018, affirmait que sa grande priorité était l’éducation, et plus particulièrement, les enfants.
Le projet de loi 47 a été déposé dans la foulée d’un rapport d’enquête, qui se voulait un suivi de l’enquête que Bernard Drainville avait commandée, en mars 2023, au sujet de la gestion des inconduites sexuelles et des comportements inadéquats dans les écoles, dont l’école primaire Bedford dans l’arrondissement Côte-des-Neiges.
Ces jours-ci, les médias rapportent pour une énième fois le climat de travail toxique et les relations désastreuses entraînant des répercussions intolérables chez les élèves de l’école primaire Bedford. Ceci donne suite à la publication d’un rapport rendu public en juin 2024, et selon lequel, la vie syndicale est contrôlée par les enseignants d’un clan dominant à l’école Bedford. Ce rapport signale que la problématique de l’école est connue depuis plusieurs années par le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). Au fil du temps, les directions d’école ont fait part des problématiques vécues aux différentes unités concernées du CSSDM. La documentation consultée et les témoignages recueillis démontrent que le CSSDM a posé plusieurs actions entre les années 2017-2018 et 2021-2022 pour venir en aide à ces directions d’école.
Pendant des années, des élèves du primaire ont été les victimes d’un clan de professeurs ayant imposé un climat toxique dans leur école, révèle le rapport qui amène le ministre Drainville à enquêter sur 11 enseignants. Le ministre de l’Éducation oblige la mise en place de mesures «sans précédent» à l’école Bedford et ordonne aussi que des «vérifications» soient faites.
En souhait que les conclusions soient plus révélatrices et efficaces que celles de 2021. En effet, une firme de psychologues industriels aurait été commandée par le CSSDM en 2021 afin de faire la lumière sur la situation à l’école Bedford. Ce rapport est décrit comme étant accablant. La résistance observée quant à l’amélioration des pratiques utilisées à l’école est soutenue par la littérature syndicale rendue disponible par l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal. À la suite du rapport du psychologue industriel, plusieurs des mesures qui ont été mises en place ont échoué à atteindre leurs objectifs en partie en raison d’écrits syndicaux ou d’interventions syndicales. C’est ce qui ressort du rapport de 2024.
Ce rapport nous apprend aussi qu’à la suite de la remise du rapport de la firme de psychologues industriels, un plan d’action avait été préparé par le CSSDM en collaboration avec l’équipe de direction de l’école. Ce plan proposait douze actions en lien avec cinq problèmes notés par la firme. La mise en œuvre de ce plan d’action a débuté au mois de juin 2021. Toutefois, en mars 2022, le CSSDM a procédé à un changement poste à poste entre la direction de l’école Bedford, Patrick Béchard, et la direction de l’école Alice-Parizeau, Fatiha Djebbar. L’analyse de la preuve recueillie démontre qu’à partir du moment où Fatiha Djebbar est entrée en fonction, le plan d’action établi à la suite de l’analyse sur le climat de travail n’a plus été appliqué.
De son côté, le CSSDM dit qu’il «prend acte» des recommandations de l’enquête, qui «met en lumière des pratiques pédagogiques inacceptables, qui ont eu cours au fil des ans», et réitère sur son site internet, depuis le 12 mai 2023, qu’il est important «de dénoncer sans tarder les situations inappropriées». Sachant très bien ce qui se déroule dans cette école depuis des années, le CSSDM réaffirme tout le sérieux avec lequel sont traitées les inconduites de toutes natures et tient à rappeler l’importance de dénoncer sans tarder les situations inappropriées. Pourtant, la situation perdure et nous continuons de sacrifier nos enfants.
Tous les acteurs sont à blâmer
Comment expliquer que le problème ait perduré si longtemps? «La peur des représailles», suppose Bernard Drainville. Même si cette justification n’explique en rien et n’excuse pas l’inaction ni du syndicat ni de l’employeur, on peut tenter de comprendre la crainte de certains enseignants, mais vous M. Drainville, de quelles représailles avez-vous peur?
Selon Bernard Drainville, le syndicat aurait mis des bâtons dans les roues aux membres qui souhaitaient dénoncer la situation. On ne sait toutefois pas d’où il tient cette information et encore moins pourquoi aucune action directe et concrète n’a été posée. Interrogé sur les sujets ces derniers jours, Bernard Drainville s’offusque et martèle «qu’il faut que le syndicat décide à un moment donné dans quel camp il se trouve».
De toute évidence, dans le dossier qui frappe de plein fouet l’école primaire Bedford, l’objectif est de défendre le personnel enseignant, et non les élèves.
Posons-nous la question: est-ce que le syndicat doit défendre les intérêts de tous les professeurs face à l’employeur ou bien est-ce que cette défense doit aussi être appliquée entre les membres syndiqués? Rappelons que l’article 47.2 du Code du travail stipule qu’une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente.
Pour sa part, l’Alliance indique qu’elle ne peut pas intervenir dans des conflits entre ses membres. La présidente, Catherine Beauvais-St-Pierre, qui se dit choquée par la lecture du rapport, dit néanmoins qu’elle n’a pas de pouvoir d’autorité sur ses membres.
Non, mais vous avez une obligation d’action envers vos membres.
Selon ses dires, dans une situation comme celle de Bedford, tout ce que le syndicat peut faire, c’est d’inviter les enseignants à s’adresser à leur direction, qui, elle, a le pouvoir d’intervenir, souligne-t-elle.
Depuis 2016, ni les directions qui se sont succédé, ni l’enquête d’une firme de psychologie industrielle, ni la création de comités et de formations obligatoires n’ont réglé les problèmes de climat et d’enseignement inadéquat. Le ministre Drainville a déjà commenté et dénoncé la situation l’an passé, mais son message est resté lettre morte. Les fonctionnaires, les dirigeants du Centre de services et les syndicats, de concert, n’écoutent pas le ministre.
Personne n’est fautif, et bien évidemment, on se renvoie la balle!
Catherine Beauvais-St-Pierre affirme avoir porté une attention particulière à ce dossier, mais explique avoir eu un pouvoir limité. Quelle attention? On ne le sait pas, et si cette attention est particulière et qu’aucune action, aucun résultat n’est probant, on n’ose pas imaginer la rigueur qu’elle porte sur les dossiers réguliers ne méritant pas d’attention particulière.
Isabelle Gélinas, directrice générale du Centre de services scolaire de Montréal, admet de son côté que certains suivis au sujet de cette école auraient dû être beaucoup plus rigoureux. Trop peu trop tard, et ce genre de paroles creuses ne règles pas le problème, tout comme il ne guérit pas les maux faits aux enfants.
Message à Catherine Beauvais-St-Pierre et Isabelle Gélinas: qui ne dit mot consent!
Les agresseurs sont connus depuis 2016. Les abus perpétrés ont débuté bien avant cette prise de conscience véhiculée dans les médias, mais nous sommes en 2024 et la situation n’a cessé de péricliter depuis ce temps et nous attendons encore des actions.
La fonction et le rôle du syndicat sont de défendre les intérêts de leurs membres et de défendre et faire valoir leurs droits. Le rôle du Centre de services scolaire est de défendre ses intérêts et son image. Pourtant, nous parlons d’école primaire et d’enfants. Qui les défend et les protège? Le Protecteur national de l’élève, entré en fonction en 2023?
L’article 478.5 de la Loi sur l’instruction publique prévoit que le ministre peut, après la tenue d’une enquête, ordonner à un centre de services scolaire de se soumettre à des mesures d’accompagnement ou d’appliquer les mesures correctrices qu’il indique.
C’est fait, donc: Go M. Drainville, go!
En terminant, M. Drainville, Mme Beauvais-St-Pierre et Mme Gélinas, auriez-vous toléré l’intolérable aussi longtemps si vos enfants avaient fréquenté l’école primaire Bedford?