Surveillance électronique en télétravail: devriez-vous espionner vos employés?
Annie Boilard|Publié le 15 octobre 2024«Est-ce une bonne idée d’espionner les membres de son équipe? Regardons cela de plus près», écrit Annie Boilard. (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. Une employée a été congédiée pour vol de temps. Son employeur a pu démontrer qu’elle consacrait 21% de son temps de travail à des activités personnelles. Comment est-il parvenu à prouver son manque de productivité en télétravail? Grâce à un logiciel de surveillance électronique enregistrant ses activités numériques, a-t-on appris dans un papier publié sur ce sujet par le Journal de Montréal.
Cette situation, face à laquelle le juge a tranché en faveur de l’employeur, donne matière à réflexion. Est-ce une bonne idée d’espionner les membres de son équipe? Regardons cela de plus près.
Assurer la sécurité informatique en entreprise
Les outils technologiques permettant d’assurer la surveillance des activités effectuées sur un ordinateur professionnel sont de plus en plus répandus. Plus d’une cinquantaine d’organisations offrent de tels logiciels. Ces derniers s’installent sur les équipements de l’employeur et passent généralement inaperçus auprès de son équipe.
À l’opposé, les politiques des entreprises ne permettent généralement pas aux employés d’installer des logiciels non autorisés sur les équipements fournis par l’organisation. La raison principale de cette restriction: protéger les équipements et prévenir les enjeux de sécurité et informatique.
Pourtant, à Affaires mondiales Canada, une trentaine d’employés s’est fait pincer pour cette raison au cours de l’exercice 2023-2024 seulement, rapportait le Journal de Montréal.
C’est ce genre d’abus qui alimente les craintes des employeurs, et qui les encourage à scruter à la loupe les activités de leurs équipes!
Fonctionnement des logiciels de surveillance
Lorsqu’ils sont utilisés, les programmes de surveillance permettent aux employeurs de recueillir des informations sur les activités des salariés, y compris le temps passé sur diverses applications et sites Web.
Des versions de base de ces logiciels prennent tout au plus des copies d’écran à une fréquence prédéterminée. Les versions plus avancées offrent des analyses détaillées d’utilisation de temps et le déplacement des employés.
Il est important de noter qu’aucun de ces logiciels ne prend des photos des employés en train de travailler ou pendant leurs périodes de déconnexion. Il est question ici que des copies d’écran et de capteurs de suivi.
Légalement, une entreprise peut-elle espionner ses employés?
En Ontario, une récente loi stipule que les employeurs doivent informer leurs employés de l’utilisation de tels logiciels dans un délai de 30 jours. En France, la législation est plus stricte, exigeant que les employés soient informés dès le premier jour d’utilisation de ces outils. En revanche, au Québec, il n’y a pas de cadre légal spécifique sur ce sujet.
Il demeure qu’au Québec, l’employeur doit divulguer la nature des données collectées et leur finalité à tout employé qui en fait la demande. De son côté, l’employé a la responsabilité de respecter les politiques internes, notamment en ce qui a trait à l’utilisation d’internet et la sécurité informatique.
De plus, nos lois du travail encadrent les motifs qui justifient la surveillance d’un employé. Typiquement, une telle activité ne s’applique qu’à un nombre restreint d’employés, pour une durée de temps limité et dans des situations spécifiques.
Dans l’exemple de l’employée en télétravail mentionné plus haut, les collègues s’étaient notamment plaints d’un faible rendement. La personne aurait été informée de l’intention de l’employeur d’utiliser un logiciel espion.
L’enquête a toutefois démontré qu’elle n’avait pas respecté les politiques de travail en place. Elle a ainsi «largement excédé les limites posées à l’utilisation personnelle raisonnable d’internet et des appareils mis à sa disposition par l’employeur, de manière régulière et répétée, malgré les avis, les rappels et les directives», d’après le jugement que l’avocat émérite Bernard Cliche a rapporté dans les pages du Journal de Montréal.
Un usage plus large que la surveillance
L’utilisation du terme «surveillance» peut masquer le fait que certaines entreprises se servent de ces outils pour des raisons autres que d’identifier des vols de temps.
Selon l’un de ces logiciels (OccupEye), ces informations aident les employeurs à prendre des décisions mieux éclairées sur l’optimisation des installations et l’efficacité au travail. Ainsi, les données de suivi permettent de vérifier la disponibilité des ressources à des périodes spécifiques ou la popularité d’un outil numérique mis à la disposition des employés.
De plus, certaines équipes demandent elles-mêmes à leur employeur d’utiliser de tels logiciels pour démontrer leur (sur)charge de travail et justifier l’embauche de ressources additionnelles.
La surveillance en télétravail: une pratique recommandée?
Lorsque les employés se sentent observés, ils s’affairent généralement à identifier des moyens de contourner le système aux dépens de la réalisation de leurs responsabilités. C’est au contraire la confiance mutuelle, le dialogue continu et la gestion par objectifs (et non pas la présence) ouvrent le chemin à l’engagement et la motivation des équipiers.
Après réflexion, les logiciels de surveillance sont-ils un atout? Difficile de trancher. Tout dépend des politiques internes de l’entreprise et des circonstances propres à chaque situation.
Pour une réponse précise, mieux vaut aborder la question directement avec vos gestionnaires. Ils connaissent la culture et les pratiques de l’entreprise.