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Comprendre les jeunes CPA qui quittent les cabinets

Jean-François Venne|Édition de la mi‑mars 2022

Comprendre les jeunes CPA qui quittent les cabinets

«Je peux mener les dossiers plus loin, voir comment mes conseils se traduisent au quotidien et discuter avec des gens qui ne sont pas des CPA, pour prendre les meilleures décisions», selon Daniela Severin, CPA, Bromont montagne d’expérience. (Photo: courtoisie)

GRANDS DE LA COMPTABILITÉ. Beaucoup de CPA effectuent un passage en cabinet en début de carrière, avant d’emprunter d’autres voies. Or, dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre, les bureaux ont besoin de retenir ces talents. Mieux vaut donc savoir ce qui les amène à quitter le navire.

Les Affaires s’est entretenu avec trois jeunes CPA qui travaillent maintenant en entreprise plutôt que dans une firme comptable. Assez rapidement, un constat s’est imposé : la pandémie a fait mal. En effet, deux des trois CPA ont mentionné que le passage en télétravail avait réduit leur intérêt à demeurer en cabinet. 

« La pandémie a affecté beaucoup d’aspects du travail en cabinet que j’aimais », confie l’une de ces personnes, qui préfère conserver l’anonymat. Elle explique que les mandats exigeaient de longues heures de travail très intense. Avant la crise sanitaire, les membres de l’équipe se côtoyaient beaucoup, apprenaient rapidement à se connaître et créaient des liens durables. C’était en quelque sorte « work hard, play hard ».

Cependant, tous les employés étant relégués chez eux derrière leur écran, cet équilibre s’est rompu. Il ne restait plus que les tâches, qui avaient d’ailleurs tendance à augmenter. Le lien avec les clients s’est aussi distendu. « Les clients n’apprécient pas toujours la vérification, rappelle-t-elle. C’est normal, parce que ça ajoute du travail à leurs tâches habituelles. Quand on est chez eux en personne, on peut créer un contact qui rend les relations plus agréables. C’est plus difficile en visioconférence ou au téléphone. » 

La CPA juge aussi le niveau de stress très élevé en cabinet. « J’avais beaucoup de clients et des délais pas toujours réalistes, raconte-t-elle. Si je n’arrivais pas à terminer le mandat à la date limite, je devais continuer tout en commençant le projet suivant, parfois en travaillant le soir ou la fin de semaine. J’avais de la difficulté à décrocher. » En constatant que les associés bossaient tout aussi fort, elle a vu se dessiner un avenir dont elle n’avait pas envie.

 

Se rapprocher des entrepreneurs

De son côté, Daniela Severin a effectué un stage, puis travaillé chez Raymond Chabot Grant Thornton de 2010 à 2013, avant de passer deux ans chez PSB Boisjoli. Elle occupe aujourd’hui un emploi à Bromont, montagne d’expériences. En cabinet, elle aussi a beaucoup apprécié l’esprit d’équipe et les liens solides qui se créent en abattant une pile de travail. Elle a également aimé la possibilité d’acquérir une expérience riche et diversifiée en pouvant exercer son métier auprès de plusieurs clients différents, dès son stage.

Elle est passée chez PSB Boisjoli parce qu’elle avait envie de travailler avec des PME plutôt que de grandes entreprises. « Cela me permettait de discuter plus directement avec les entrepreneurs et les dirigeants des clients et de sentir leur passion, précise la CPA. Ce sont souvent des compagnies plus familiales, et ça me ressemblait davantage. » Elle avait l’impression de pouvoir leur apporter plus de valeur que lorsqu’elle collaborait avec des multinationales qui comptaient sur leur propre équipe remplie de CPA et de CFA.

C’est un peu pour la même raison qu’elle s’est finalement tournée vers le travail en entreprise. « Je peux mener les dossiers plus loin, voir comment mes conseils se traduisent au quotidien et discuter avec des gens qui ne sont pas des CPA, pour prendre les meilleures décisions », indique Daniela Severin.

 

Avoir une influence

Quant à Julien Roy, il a effectué un séjour de près de cinq ans dans l’un des quatre grands cabinets, qui s’est terminé en octobre 2020. Comme ses deux collègues, il y a apprécié les relations interpersonnelles avec les employés. « Tout le monde était toujours prêt à m’aider ou à répondre à mes questions, se rappelle-t-il. Même les associés, qui sont très occupés, prenaient le temps de discuter avec moi lorsque je les interpellais. » Il a aussi aimé les rencontres régulières avec un gestionnaire de performance, pour obtenir de la rétroaction sur son travail et parler de sa carrière.

Bien que le cabinet permettait les changements de divisions, Julien Roy regrette un peu de ne pas avoir eu l’occasion de le faire avant d’opter pour un autre secteur d’affaires. « J’étais dans l’équipe d’évaluation d’entreprise et il n’y avait pas de possibilité de rotation dans une autre division, explique-t-il. On peut discuter avec des gens pour comprendre comment ça se passe dans un autre secteur d’affaires, mais pas l’essayer. »

La pandémie l’a privé de la possibilité de côtoyer ses collègues et les clients autant qu’avant. Il ressentait aussi l’envie d’avoir une influence plus directe et d’être impliqué dans plusieurs aspects de la gestion d’une entreprise. C’est ce qui l’a poussé à effectuer un virage important. Il a cofondé Neural Drive, une start-up qui propose des dispositifs médicaux novateurs pour aider les personnes blessées à la moelle épinière à marcher de nouveau.