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Manuel St-Aubin

Le droit dans vos affaires

Manuel St-Aubin

Expert(e) invité(e)

Logement: quand la solution réglementaire peut créer le problème

Manuel St-Aubin|Mis à jour le 03 juillet 2024

Logement: quand la solution réglementaire peut créer le problème

Beaucoup d’immeubles des quartiers centraux de Montréal ont été construits dans la première moitié du 20e siècle. (Photo: Snap Shoot pour Unsplash)

EXPERT INVITÉ. À lire le titre vous me direz en soupirant qu’il s’agit encore d’une énième opinion sur la crise du logement. En effet, mais je vous propose d’aborder cet enjeu de société avec quelques réflexions juridiques.

Nul besoin de dire que le marché du logement est aujourd’hui déséquilibré: l’offre ne suit plus la demande. Mais au-delà de la pénurie, le choc tarifaire subi par les locataires avec les hausses des loyers des dernières années s’est avéré particulièrement brutal.

Ce choc, pourquoi le vit-on maintenant, et avec une telle force?

Je ne peux évidemment pas prétendre détenir la réponse précise et complète à cette question. Mais je crois que le droit du logement, tel qu’il s’est développé au Québec dans les dernières décennies, peut prendre une part du blâme.

L’impact du droit pour répondre à une problématique

Le droit est souvent une réponse à une problématique sociale et économique. Il est aussi empreint de politique — c’est après tout l’appareil politique qui fait les lois et les règlements.

Historiquement au Québec et dans d’autres juridictions, les gouvernements ont été appelés à légiférer afin de protéger économiquement des personnes considérées vulnérables. On peut prendre l’exemple de la Loi sur la protection du consommateur, les lois encadrant les marchés financiers, et évidemment le droit du logement découlant du Code civil du Québec et des règlements pris en lien avec la Loi sur le Tribunal administratif du logement.

Certainement, le droit est un outil essentiel à la prévention des abus, de l’exploitation des uns par les autres. Mais la ligne est bien mince entre le droit qui protège et le droit qui, par sa rigidité ou sa complexité excessive, paralyse et produit finalement les effets inverses de ceux qu’il visait.

À mon avis, nous en sommes là: certaines règles de droit entourant le logement sont devenues contre-productives, contribuant à la crise actuelle.

Petit historique du droit du logement

La Loi sur la régie du logement a été adoptée à la fin des années 70. Des règles strictes sont donc en place depuis plusieurs décennies pour encadrer les reprises et les évictions, et bien sûr, les augmentations de loyer.

Par exemple, le Règlement sur les critères de fixation de loyer impose des critères auxquels le propriétaire doit se conformer notamment pour justifier une augmentation de loyer suivant des rénovations majeures.

Or, les augmentations de loyer admises par la législation en place sont souvent dérisoires au regard des dépenses à engager dans la maintenance des immeubles. La formule de calcul imposée, ainsi que les règles sur le contrôle des loyers, n’incitent tout simplement pas le propriétaire à investir pour mettre à niveau son immeuble.

En fait, on se retrouve même en face de l’incitatif inverse pour le propriétaire: celui de reporter les travaux autant que possible.

Bien sûr, les effets pervers de ces règles et de ces limitations, alors que les immeubles étaient encore relativement jeunes et en bon état — comme c’était le cas dans les années 70 — ne se faisaient pas sentir de manière pressante. Les travaux pouvaient bien attendre sans grandes conséquences.

Le vieillissement du parc locatif

Quelques décennies plus tard, toutefois, nous voilà avec une proportion appréciable du parc immobilier québécois âgé de 50 à 100 ans. Prenons par exemple la ville de Montréal, où beaucoup d’immeubles des quartiers centraux ont été construits dans la première moitié du 20e siècle.

Outre leur âge, en raison des désincitatifs à l’entretien dont je faisais état plus tôt, ces immeubles sont souvent affectés d’un déficit d’entretien marqué, et leurs composantes majeures arrivent à l’extrême limite de leur durée de vie utile. Par exemple:

• Les structures sont fragiles et doivent être renforcées;
• Les fondations doivent être refaites et/ou renforcées;
• La maçonnerie se désagrège ou se sépare des murs (les fameux «ventres de bœuf»);
• L’isolation n’est plus adéquate;
• La tuyauterie et les systèmes électriques doivent être changés;
• La toiture doit être refaite;
• Etc.

À eux seuls, les quelques travaux que je viens de citer en exemples ont un coût de réalisation substantiel, se chiffrant souvent en centaines de milliers de dollars.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là?

Mis à part les grands blocs locatifs, beaucoup de logements sont situés dans des immeubles de moins de cinq logements (duplex, triplex, etc.) détenus depuis longtemps par des propriétaires occupants et petits investisseurs.

Aujourd’hui, une bonne partie de ces propriétaires, avançant en âge, cèdent leurs immeubles. Le coût d’acquisition de ce type d’immeuble est maintenant très élevé en comparaison de ce qu’il en coûtait auparavant pour les acquérir.

Avec des loyers qui n’ont souvent pas suivi le cours de l’inflation, le nouveau propriétaire doit composer avec un coût d’acquisition important, sans marge de manœuvre pour absorber les coûts de rénovation qui ont grandement augmenté. Parfois, la durée d’amortissement des coûts de rénovation est tellement longue que l’immeuble ne devient réellement rentable qu’après des décennies. En plus, arrivé au moment de rentabilité, le propriétaire devra encore faire des rénovations importantes sur son immeuble dû à son usure normale.

Le nouvel acquéreur, confronté à ces sombres projections économiques, se met nécessairement à la recherche de solutions pour rentabiliser son investissement. Face à la rigidité du droit en vigueur, il lui est alors tentant de contempler des solutions de contournement dites «créatives», mais en réalité illégales et abusives, telles que les évictions et les reprises de mauvaise foi. Une fois le logement vidé de son locataire sous de faux-semblants, des rénovations (parfois risibles) sont entreprises pour augmenter le loyer de manière draconienne. Ce phénomène bien connu fait régulièrement les manchettes.

D’autres propriétaires trouvent une solution encore plus radicale en s’extrayant entièrement du droit régissant le logement résidentiel, pour consacrer parfois jusqu’à des immeubles entiers à la location à court terme de type «Airbnb»; ceci, bien entendu, en contravention de règles de droit qui existent bel et bien, mais ne sont pas rigoureusement appliquées.

Et maintenant, que fait-on?

Avec la toute récente adoption du Projet de 65, les propriétaires n’auront plus la possibilité, pour une période de trois ans, d’évincer leurs locataires à des fins de changement d’affectation, de subdivision ou d’agrandissement de logements. Subsistera néanmoins le droit de reprendre un logement pour y habiter soi-même ou y loger un proche – subterfuge parfois utilisé pour s’adonner aux célèbres «rénovictions».

Ces interventions législatives auront-elles un effet bénéfique sur la crise qui sévit?

L’avenir nous le dira. Chose certaine, comme c’est le cas en droit, il faut toujours viser l’équilibre entre, d’une part, un laisser-faire abandonnant les plus vulnérables aux caprices des moins scrupuleux, et d’autre part, un interventionnisme qui étouffe et crée les mauvais incitatifs.

Dans cette problématique du logement, juristes et économistes devraient travailler de concert afin de mettre en place des règles de droit rendant la propriété d’immeubles locatifs accessible et attrayante pour plus qu’une poignée d’investisseurs de haute voltige. Ces règles de droit devraient être habilement calibrées pour créer des incitatifs à posséder des immeubles locatifs, à les entretenir continuellement plutôt que par grand coup et bien entendu, à en ériger de nouveaux.