Les cabinets se voient sollicités par d’autres aspects de la généralisation des nouvelles technologies. (Photo: 123RF)
GRANDS DU DROIT. La montée des technologies numériques, le virage vers la finance durable et de nouvelles réglementations alimentent la croissance de certains domaines d’expertise dans les cabinets d’avocats.
En septembre 2021, le gouvernement du Québec a adopté le projet de loi 64 (devenu la loi 25) qui rehausse passablement les exigences de protection des renseignements personnels recueillis par les entreprises, en plus d’en encadrer plus précisément la collecte et l’utilisation. En 2018, l’Union européenne avait fait de même avec son Règlement général sur la protection des données.
« Ces nouvelles législations augmentent la demande pour nos services en gouvernance de données, note Me Éric Bédard, associé directeur pour la région du Québec de Fasken. Le portefeuille de données représente maintenant l’un des plus grands actifs des entreprises. Elles doivent s’assurer que ces informations ont été collectées légalement. »
Des erreurs à cet égard ou encore des défaillances de sécurité dans la protection des données peuvent générer des risques de litiges pour une société, mais également diminuer sa valeur lorsqu’elle fait l’objet d’une acquisition. Au cours des dernières années, Fasken a embauché des avocats spécialisés dans ce domaine, mais aussi quelques ingénieurs informatiques, qui aident par exemple à vérifier la légalité des algorithmes utilisés par les clients.
Des besoins tous azimuts
Les cabinets se voient aussi sollicités par d’autres aspects de la généralisation des nouvelles technologies, comme l’émergence de l’intelligence artificielle ou encore de la fintech, avec son cortège de cryptoactifs et de méthodes de paiement mobiles. « On constate une croissance fulgurante de la demande dans ces secteurs », confie Me Karl Tabbakh, associé directeur régional pour le Québec de McCarthy Tétrault. En avril dernier, la firme annonçait d’ailleurs l’embauche de Lori Stein pour codiriger son groupe fintech à Toronto. Cette avocate — une ancienne d’Osler, Hoskin & Harcourt et du fonds d’investissement Periscope Capital — a conseillé plusieurs bourses de cryptoactifs et a accompagné Wealthsimple dans le lancement de la première plateforme réglementée d’échange de cryptomonnaies au Canada en 2020.
Comme les nouvelles technologies de l’information sont très transversales, elles génèrent des bouleversements dans de nombreux secteurs traditionnels du droit, telles la propriété intellectuelle, la gestion des données, la gouvernance ou la fiscalité. « Ces innovations suscitent des questionnements inédits, explique Me Pierre Allard, associé directeur de BCF Avocats d’affaires. C’est par exemple le cas de la fiscalité des géants du numérique, ou encore des fameux jetons non fongibles, qui soulèvent des enjeux de propriété intellectuelle. » Plus connus sous leur acronyme anglophone NFT, ces jetons servent à certifier l’authenticité d’une œuvre numérique sur une chaîne de blocs. Celle-ci peut ensuite s’échanger comme un autre cryptoactif.
S’adapter à la finance durable
Certains changements se révèlent plus conjoncturels. Ainsi, Me Allard constate que le conflit en Ukraine tend à relancer le secteur des ressources au Canada. « Nous possédons beaucoup de gisements à faible densité, qui sont surtout exploités lorsque le prix des matières premières et de l’énergie augmente, comme c’est le cas actuellement, précise-t-il. D’autant que l’agression russe contre l’Ukraine pousse plusieurs pays occidentaux à chercher des fournisseurs pour remplacer la Russie. »
À l’autre bout du spectre, le virage vers la finance durable et l’émergence des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) génèrent aussi leur lot de demandes. « On voit de plus en plus de financement dont les taux sont liés à l’atteinte d’objectifs ESG et d’appels d’offres publics où les sommes payées aux maîtres d’œuvre varient en fonction de la réduction de la dépense énergétique ou des émissions de gaz à effet de serre, illustre Me Bédard. Des entités émettent des obligations vertes et des fonds que nous conseillons se spécialisent dans les investissements ESG. Ça bouge beaucoup. »
Me Allard note lui aussi que cette question prend de l’importance pour les entreprises d’ici. « Certaines y voient un créneau porteur ; d’autres réalisent que si elles souhaitent demeurer au cœur des chaînes de valeurs des grandes entreprises, elles doivent répondre à leurs exigences sur ce plan », explique-t-il. Cette prise de conscience s’applique d’ailleurs à BCF. Les administrateurs du cabinet ont reçu en avril dernier une formation sur la responsabilité sociale, pour s’assurer de rester à jour sur ce sujet.
« Les firmes d’avocats ont l’habitude de développer rapidement de l’expertise pour réagir aux nouvelles demandes que font surgir les différents contextes, rappelle Me Tabbakh. Nous l’avons souvent fait par le passé, que ce soit au moment de l’émergence d’Internet ou du commerce électronique, ou plus récemment après la légalisation du cannabis au Canada. Et nous continuerons de nous adapter. »