Le Québec semble avoir une prédisposition particulière pour le repreneuriat. (Photo: 123RF)
TRANSFERT D’ENTREPRISE: GROS PLAN SUR LE REPRENEURIAT. De 1999 à 2014, le Japon a connu une baisse de 21 % du nombre de ses entreprises en raison du vieillissement de ses dirigeants. Si une telle situation se produisait au Québec, cela représenterait « la fermeture d’environ 50 000 entreprises », préviennent les auteurs du mémoire Le repreneuriat : un vecteur pour la relance économique du Québec, présenté au gouvernement lors de la consultation prébudgétaire 2021-2022.
L’idée n’est pas de sauver chaque « salon de coiffure » ou « dépanneur du coin », mais plutôt de préserver, dans son ensemble, un précieux patrimoine entrepreneurial. Les chefs d’entreprise québécois sont une population indéniablement vieillissante : la moitié ont 50 ans et plus (51 %) et un chef d’entreprise sur cinq a 60 ans et plus (20,8 %). Dans l’ensemble, en 2017, près d’un quart des propriétaires majoritaires (23 %) affirmaient vouloir passer le flambeau dans les cinq années à venir.
Et la pandémie semble avoir accéléré ce mouvement. Selon les estimations de Marc Duhamel, professeur et chercheur en économie à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières, le nombre d’entreprises ayant l’intention de transférer leur propriété est passé de 7 000 en 2017 à 15 000 en 2020, soit plus du double. « On ne peut négliger les effets dévastateurs que peut avoir la gestion de la pandémie de la COVID-19 sur la santé mentale et physique et l’équilibre travail-famille de nos entrepreneurs », explique-t-il.
Dissiper le brouillard, d’abord
Pourtant, les transferts d’entreprise ont ralenti en 2020. Le Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) en a pour sa part initié un total de 180, soit la moitié moins que l’année précédente.
Cette donnée n’est pas surprenante. Dans le Portait du repreneuriat 2017, on signale que « les plus importantes intentions de transferts d’entreprise » se trouvent dans les secteurs du tourisme, des services de l’hébergement et de restauration, trois secteurs durement frappés par la pandémie.
« Avant mars 2020, au CTEQ, nous allions vers un équilibre entre le nombre de cédants et de repreneurs, explique Vincent Lecorne, PDG du CTEQ. Un an et demi plus tard, nous sommes revenus à un déséquilibre, avec beaucoup plus de repreneurs qui cherchent des occasions que de cédants qui lèvent la main pour vendre leur entreprise. »
Sylvain Houde, directeur général de la firme-conseil spécialisée en transfert d’entreprise Evoluo, observe un repli parmi sa clientèle de cédants potentiels. « Les chefs d’entreprises que je côtoie sont au bout du rouleau. Ils ont travaillé comme des défoncés pour passer au travers de la pandémie. Et maintenant, ils sont à l’étape des bilans. Certains se demandent s’ils vendront dans un an ou deux, le temps de remettre leur entreprise sur pied. »
Mouvement de fond
De manière générale, les experts de ce secteur s’entendent pour dire que le repreneuriat a de belles années devant lui. Dans un article publié en décembre 2020, l’économiste Marc Duhamel prédit que la prochaine décennie sera « celle du repreneuriat ».
Il identifie trois raisons principales : la fatigue pandémique qui poussera certains entrepreneurs à la retraite, le vieillissement de la population, mais aussi un déclin général de l’entrepreneuriat comme modèle d’affaires observé depuis les années 1980 dans les économies développées. « Les économies québécoise et canadienne ne font pas exception à ce long déclin décennal des entrées de start-ups et des fermetures d’entreprises improductives », note-t-il dans son article.
Vincent Lecorne renchérit sur cette idée. « Nous avons eu une génération de bâtisseurs et maintenant, on prend le relais. Nous sommes dans un cycle de développement durable, après tout. En fin de compte, on recycle des entreprises et on les amène plus loin. »
Pour un repreneuriat plus inclusif
Il faut dire que le Québec semble avoir une prédisposition particulière pour le repreneuriat. En 2017, la proportion d’entreprises issue du repreneuriat était plus forte au Québec (32 %) que dans l’ensemble du Canada (25 %).
Et pourtant, malgré cet engouement, le repreneuriat pourrait être plus inclusif. « Le repreneuriat féminin est encore trop rare, note Vincent Lecorne. Aujourd’hui, les femmes représentent encore 20 % des repreneurs uniques, alors que, lorsqu’on regarde le démarrage d’entreprise, c’est moitié-moitié. Il y a une différence majeure ! On peut faire beaucoup mieux. »
Vincent Lecorne voit aussi un potentiel à développer dans le repreneuriat immigrant « pour permettre la relève de secteur en pénurie de main-d’œuvre » et la reprise par équipe ou selon une formule coopérative « dans une perspective d’atteindre un meilleur équilibre travail-vie privée ».