Olivier Blais, cofondateur et vice-président à la science de la décision de Moov AI (Photo: courtoisie)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. Avec le lancement de ChatGPT, en novembre 2022, l’intelligence artificielle (IA) est entrée dans nos vies à la manière de Gulliver sur l’île de Lilliput. Du jour au lendemain, nous avons compris la puissance et aussi la maturité de cette technologie de rupture. Le géant est parmi nous, retenu au sol par quelques cordes législatives somme toute dérisoires. La question est maintenant de savoir comment tirer profit de cet outil d’innovation sans nous heurter nous-mêmes.
Certains voient dans l’IA une occasion sans précédent « d’accroître la productivité pour rehausser le niveau de vie et accorder la priorité à la transition bas carbone », comme le suggère une étude économique de l’OCDE consacrée au Canada. Au même moment, des voix s’inquiètent des dérives potentielles d’une IA dérégulée. En mars dernier, une lettre ouverte demandant une pause de six mois dans le déploiement de l’IA « avancée » a frappé l’imaginaire du public, entre autres parce qu’elle était signée par deux personnalités aux antipodes de la prudence et de la sagesse, soit Elon Musk (PDG de Tesla) et Yoshua Bengio (directeur scientifique au Mila).
Ce dernier a d’ailleurs réitéré son message au sommet All In, un événement organisé par Scale AI qui s’est tenu à Montréal en septembre dernier. « Pour chaque dollar que nous investissons pour améliorer l’IA, nous devrions investir la même somme pour la rendre plus sécuritaire et protéger le public. En ce moment, ce n’est pas ce que nous voyons. Nous sommes à un ratio de 50 pour 1, environ. La raison pour laquelle c’est si important est que nous sommes en train de bâtir la technologie la plus puissante de l’histoire. Et que faisons-nous avec cela? Et qui décidera de ce que nous ferons avec cela? Actuellement, ces décisions se prennent derrière des portes closes, dans les mains d’intérêts privés. »
D’une certaine manière, le message a été entendu. Lors de la même conférence d’ouverture, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a annoncé la publication d’un code de conduite volontaire pour les entreprises qui manipulent l’IA avancée. Ajoutons qu’une loi sur l’intelligence artificielle et les données a été proposée en juin 2022 et est actuellement à l’étude au gouvernement.
Le réveil des PME
Le Québec inc. s’intéresse aussi à la question. « En voyant les performances d’un ChatGPT, il y a eu un wake up call sur ce que l’IA peut faire et son niveau de maturité, tant dans la population en général que dans les organisations et dans les entreprises », note Hugues Foltz, vice-président directeur de la firme de consultation Vooban, qui a vu augmenter le nombre d’entreprises qui cognent à sa porte pour un premier projet d’IA.
« Il était temps, ajoute-t-il. Quand on constate que seulement 3,7% des entreprises canadiennes ont implanté un projet d’IA, ce n’est rien de moins que catastrophique. Nous sommes les cancres de l’utilisation de l’IA. » La statistique provient d’une analyse de DAIS-TMU portant sur des données de 2021, préChatGPT. Dans cette analyse, le Québec affichait un taux de 5%.
L’enquête sur le marketing numérique 2023 de Varibase offre un portrait plus récent qui n’est pas plus flatteur. « La plupart des entreprises québécoises sont au début de leur parcours d’adoption de l’IA, avec une moyenne de score d’adoption de 2,6 sur 10 », concluent les auteurs du rapport, après avoir sondé 330 entreprises québécoises à l’automne passé.
Un équilibre à trouver
Pour Olivier Blais, cofondateur et vice-président à la science de la décision de Moov AI, l’arrivée de ChatGPT a non seulement favorisé l’adoption de l’IA, mais elle a aussi provoqué une réflexion chez ses utilisateurs. « Avant, les gens ne prenaient pas cette technologie très au sérieux; ils voyaient cela comme de la recherche et développement. Or, ils se sont maintenant éveillés au fait que l’IA comportait des risques.»
Et pas seulement l’IA « avancée », précise-t-il. « Il existe plusieurs systèmes traditionnels qui utilisent l’IA et qui ont déjà un impact sur nos vies. Ça peut être un exemple aussi banal qu’un planificateur d’horaires dans un milieu de travail. Si on ne porte pas attention à l’égalité des chances, la technologie pourrait attribuer des quarts de travail d’une manière qui porte préjudice à des professionnels ou à des employés syndiqués », illustre-t-il.
Parallèlement à ce souci de sécurité du public, l’intelligence artificielle cherche son chemin dans des industries fortement régulées, comme celles de l’aérospatiale, de la finance ou des assurances. Tout juste arrivé au Québec en 2023, le consortium de recherche industrielle Confiance IA — fondé en France — développe justement des solutions « pour lever un certain nombre de verrous auxquels sont exposées ces industries », expliquait Siegfried Usal, vice-président à l’innovation numérique de Thales en Amérique du Nord, lors du sommet All In. Le défi, en 2024, sera de réglementer l’IA sans étouffer l’élan d’innovation des entreprises.