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Combattre les changements climatiques avec l’IA

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑Décembre 2022

Combattre les changements climatiques avec l’IA

Vincent Lachance et Katrina Albert, fondateurs de Lux Aerobot (Photo: courtoisie)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. Grâce à la puissance de calcul et d’analyse de l’intelligence artificielle (IA), l’humain peut appréhender des phénomènes naturels qui autrement le dépasseraient. Portraits de deux entreprises qui utilisent l’IA pour combattre ou mitiger les changements climatiques, dans des contextes « maritime » et « aérien ». 

Fondée en 2013, l’entreprise montréalaise True North Marine a d’abord fait ses marques comme consultante en routage météorologique — en accompagnant à distance des transporteurs maritimes — avant d’effectuer un pivot stratégique en 2016 pour devenir une entreprise de données. « Lorsque l’industrie maritime s’est fait imposer de nouveaux règlements sur les émissions de gaz à effet de serre, nos clients sont venus nous poser des questions, raconte son président Brian Hatter. Ils voulaient savoir comment nous pouvions les aider à réduire leur consommation d’essence. »

La direction de True North Marine a dès lors compris la valeur des données météo qu’elle possédait. « Nous voulions être les premiers à établir un modèle prédictif de routage météorologique. Nous avons contacté l’institut Ivado en 2019 et nous avons commencé à développer un logiciel d’IA pour gérer les voyages des navires de marchandise. »

L’algorithme développé offre une estimation de la vitesse à suivre pour qu’un cargo arrive à destination au moment exact où le port peut le recevoir, tout en tenant compte de la météo et des points de ravitaillement.

Pour mener ce projet, l’entreprise montréalaise a dû rebâtir le profil de compétences de son équipe — jusqu’alors composée de capitaines. Un directeur de la technologie a été recruté, ainsi qu’un statisticien et des programmeurs. « Si c’était à refaire, nous embaucherions ces professionnels beaucoup plus tôt, note le président. Au départ, nous pensions pouvoir développer la solution par nous-mêmes. Or, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un écart technologique à combler entre les algorithmes provenant du milieu universitaire et le produit opérationnel que nous voulons commercialiser. »

True North Marine a aujourd’hui le vent dans les voiles ; le déploiement de ses services d’optimisation de trajet maritime et de production de bilan carbone viendra alimenter une croissance de 50 % prévue en 2023.

 

L’art de collecter des données stratosphériques 

Contrairement aux dirigeants de True North Marine, Vincent Lachance et Katrina Albert, fondateurs de Lux Aerobot, sont arrivés dans leur secteur d’activité — la gestion des feux de forêt — comme de parfaits outsiders. « Je suis un décrocheur devenu entrepreneur, explique Vincent Lachance. Après ma première entreprise, j’ai pris une pause de trois ans pour faire des lectures sur les plateformes stratosphériques, la robotique spatiale et l’ingénierie aérospatiale afin de déterminer un produit qui était sous-valorisé par le marché. » 

L’entrepreneur d’Alma s’est rendu compte que pour surveiller l’ensemble de leurs territoires, les gouvernements dépendaient de satellites de faible résolution. Lui et sa partenaire d’affaires, Katrina Albert, issue de HEC Montréal, ont eu l’idée de mettre en service une flotte de ballons stratosphériques ayant pour but d’acquérir une vue granulaire des phénomènes naturels se déroulant au sol, tels les feux de forêt. 

« Notre approche est complètement différente de celle d’un développeur de logiciels, explique Vincent Lachance. Plutôt que d’exploiter les données disponibles, nous nous sommes demandé quelles seraient les données idéales pour modéliser les phénomènes que nous voulions prédire. » Dans le cas d’un feu de forêt, connaître l’humidité de l’air à différentes altitudes, la température au sol, la vélocité et la direction des vents aide grandement à prédire l’évolution de la situation.

Le duo a entrepris de bâtir l’équipement nécessaire pour acquérir ces données. Il s’agit d’un ballon « intelligent » muni de capteurs et d’un ordinateur de bord capable de traiter l’information en temps réel grâce à un algorithme d’intelligence artificielle.

Les entrepreneurs d’Alma ont réussi à créer une solution opérationnelle de gestion des feux de forêt, ayant trouvé preneur en Australie — où le problème est récurrent — et à l’Agence spatiale canadienne, dans le cadre d’un projet de recherche sur l’imagerie thermique, et ce, sans posséder eux-mêmes de formation scientifique. « La réalité, c’est qu’il existe des experts techniques dans l’ensemble des sous-systèmes que l’on développe », fait valoir Vincent Lachance, qui n’a pas hésité à embaucher des spécialistes de l’IA basés au Royaume-Uni et à Calgary pour certains aspects du projet. 

D’abord pensée comme une entreprise d’acquisition de données, Lux Aerobot a changé son modèle d’affaires en 2020, après un passage au Creative Destruction Lab — un accélérateur pour jeunes pousses technologiques. Le duo d’entrepreneurs veut désormais concentrer ses efforts sur la valorisation de ses données « propriétaires » par l’intelligence artificielle. « Nous nous attaquons à un problème réel et grandissant [les feux de forêt]. En raison de ce positionnement, nous sommes persuadés que, à long terme, notre entreprise sera un succès. »