Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

L’IA pour réparer la ville

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑Décembre 2022

L’IA pour réparer la ville

Depuis sa fondation en 2015, la jeune pousse montréalaise cherche une manière de rendre la mobilité durable plus attrayante. Et elle a identifié un endroit stratégique pour intervenir : l’arrêt d’autobus. (Photo: 123RF)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. Congestion récurrente, accès limité à la mobilité durable, piètre efficacité énergétique du parc immobilier. Plusieurs des problèmes de la ville sont largement documentés, mais rien ne change. Et si l’intelligence artificielle nous permettait de sortir du statu quo ? Ces deux entreprises proposent des solutions d’IA qui ont le potentiel de « réparer la ville » ou, du moins, de la rendre plus durable.

« Si un autobus fait dix kilomètres avec deux personnes à bord, ce n’est pas de la mobilité durable », lance Wissem Maazoun, vice-président de l’Innovation de BusPas, pour illustrer le défi de gestion et d’accessibilité que peut représenter la mobilité durable.

Depuis sa fondation en 2015, la jeune pousse montréalaise cherche une manière de rendre la mobilité durable plus attrayante. Et elle a identifié un endroit stratégique pour intervenir : l’arrêt d’autobus. « C’est un lieu qui échappe aux transporteurs. À l’heure actuelle, ils ne savent pas combien de personnes attendent un autobus ou décident de rebrousser chemin pour prendre leur voiture. »

En partenariat avec des chercheurs académiques, les ingénieurs de BusPas ont conçu un afficheur « intelligent » et « autonome », équipé d’une caméra à grand angle et d’un capteur sonore. Le panneau en question, baptisé SCiNe, capte d’abord des informations environnantes — le nombre de personnes en attente, le niveau de neige au sol, ou d’éventuels cris de détresse ou coups de feu qui pourraient entraîner une intervention policière. Il informe ensuite les usagers de l’état du réseau — l’autobus a-t-il du retard ? Est-il rempli au maximum de sa capacité ? Quels sont les trajets ou les modes de déplacement de rechange ? 

« Pour respecter la confidentialité des usagers, nous devions trouver un moyen de collecter les données sans identifier les personnes, dit Wissem Maazoun. C’était primordial, d’un point de vue éthique. Et c’est grâce à l’IA qui nous y sommes parvenu. » L’afficheur de BusPas possède un ordinateur de bord qui traite l’information en temps réel, afin d’extraire les indicateurs nécessaires sans toutefois enregistrer d’information personnelle sur les usagers. « Notre solution donne du confort et de la sécurité aux usagers, tout en les encourageant à choisir les moyens de mobilité durable qui leur conviennent. » BusPas déploie actuellement une trentaine d’afficheurs dans le réseau de la Société de transport de Laval (STL). Quand la plateforme aura collecté suffisamment de données, d’autres algorithmes viendront optimiser les trajets des autobus, afin d’en réduire leur consommation.

 

Faire bondir l’efficacité des immeubles

En 2016, l’équipe de BrainBox IA s’est intéressée à un autre défi « urbain », qui est l’efficacité énergétique des immeubles commerciaux ou à logements. « La plupart des édifices ont des contrôles numériques, mais les données qu’ils génèrent ne sont pas exploitées, explique Jean-Simon Venne, chef de la technologie et cofondateur de l’entreprise. La gestion des systèmes de climatisation, de ventilation et de chauffage (CVC) demeure réactive. «Pour nous, le secret de la Caramilk est dans le prédictif.»

La jeune pousse montréalaise a entrepris de concevoir un engin d’apprentissage profond qui, alimenté par des données opérationnelles et des données météo, pourrait optimiser la gestion d’un système CVC selon différents objectifs. Par exemple : veut-on prolonger la vie des machineries, ou bien réduire la consommation globale de l’immeuble ou plutôt l’ajuster en fonction de la tarification énergétique en vigueur ? «Dès le départ, nous savions que nous ne ferions pas ça seuls, précise le dirigeant. Nous avons bâti autour de nous un écosystème d’innovation, en créant des co-recherches et en confiant la conception de certaines composantes à des partenaires universitaires.» Polytechnique, Ivado, l’École de technologie supérieure et l’université McGill ont entre autres été impliqués dans le projet.

Six ans plus tard, le résultat donne une plateforme de gestion « autonome », propulsée à l’intelligence artificielle, dont l’installation initiale se fait « en moins de trois heures», et qui, après quelques semaines d’apprentissage, peut offrir des gains d’efficacité énergétique allant jusqu’à 25 %. 

Après avoir testé son produit dans le marché montréalais, l’entreprise vise une mise à l’échelle internationale de sa solution. «À l’heure actuelle, nous pouvons brancher quelques édifices par jour. Pour avoir un réel impact sur la planète, nous voulons augmenter notre vélocité à 1000 immeubles par jour.»

D’une part, l’entreprise réfléchit à une manière d’automatiser le déploiement et la maintenance de sa solution. D’autre part, elle travaille sur la « visibilité» de son produit aux yeux des usagers. «Un réseau neuronal, c’est une formule mathématique. Il y a une confiance à bâtir envers la technologie», explique l’entrepreneur-ingénieur. Parmi les stratégies retenues, BrainBox AI affiche en temps réel « l’intensité » des actions engagées par l’IA dans le système de CVC.

Montrer ce qu’il y a dans la « boîte noire» demeure le grand défi des développeurs de solutions d’IA. On comprend aussi que c’est la clé vers une plus grande adoption de ces solutions.