Les entreprises d'ici font d'abord leurs recherches en fonction du secteur où elles veulent s'établir. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER COMMERCIAL. Les propriétaires et gestionnaires d’immeubles commerciaux s’arrachent les bons locataires — des clients bons payeurs avec de longs baux — tels les marchés d’alimentation, les pharmacies, les firmes comptables, les cabinets d’avocats, les banques, les organismes gouvernementaux, les cliniques médicales et autres sociétés cotées en Bourse. Et ils ont plus d’une stratégie pour les attirer.
«D’abord, ce n’est pas en leur offrant des « nananes » qu’on les attire; ces locataires doivent préalablement nous sélectionner en fonction de leurs besoins», répond du tac au tac George Gantcheff, président de Cromwell Management. «Ce n’est pas nous qui les trouvons, ce sont les agences qui travaillent pour ces locataires qui nous contactent», explique ce grand gestionnaire d’espaces commerciaux.
Les entreprises et organismes effectuent en effet leur recherche en fonction de la rue, du quartier ou de la ville où elles veulent s’établir. «Autrement dit, il faut faire partie de la courte liste de ces locataires convoités — qui compte généralement de trois à cinq immeubles — avant de dévoiler ses cartes», avise-t-il.
Une fois qu’ils ont ciblé l’immeuble et fait part de leur intérêt, il est alors possible de sortir les outils de séduction pour entamer les réelles négociations, poursuit George Gantcheff. Des travaux d’aménagement sans frais ou encore des mois de loyer gratuits, voire une année sur de longs baux, peuvent être proposés. L’offre ira en fonction de la volonté du propriétaire à vouloir recruter le locataire… et la santé financière de ce dernier. «Les propriétaires d’immeubles deviennent comme des banques qui accordent des prêts, illustre le président de Cromwell Management. Même si le locataire sélectionne nos espaces, nous devons analyser chaque dossier et décider si nous accordons ou non un bail, en déterminer la durée ainsi que les conditions.»
De gros risques
Qu’il figure ou non déjà sur de courtes listes de locataires, Rosefellow, un nouveau gestionnaire d’immeubles industriels dans le Grand Montréal, vient d’entamer la construction de deux entrepôts de 125 000 pieds carrés chacun sur l’avenue Marien, dans l’est de Montréal, au coût total de 56 millions de dollars (M $). Les deux immeubles seront livrés au mois de septembre. Encouragée par la vigueur du marché industriel — qui affiche des taux d’inoccupation records sous la barre des 2 %, selon le groupe-conseil immobilier CBRE —, l’entreprise construit sans avoir signé aucun bail, indique Mike Jager, coprésident et cofondateur de Rosefellow.
«On a déjà reçu plusieurs demandes d’informations d’entreprises de logistique et de commerces de détail qui souhaitent faire de l’entreposage; des entreprises québécoises, canadiennes et internationales. Si nous devions dire oui à toutes ces demandes, il nous faudrait construire un immeuble de 3 millions de pieds carrés», lance-t-il.
Chaque futur locataire de Rosefellow devra louer au minimum un espace de 25 000 pieds carrés et signer un bail de 10 ans ou de 15 ans. «Pas question de faire de la surenchère auprès des locataires», assure Sam Tsoumas, l’autre coprésident et copropriétaire. Ce sera premier arrivé, premier servi. «Dans l’immobilier commercial, tout le monde se connaît. Mieux vaut avoir une bonne réputation dès le départ», souligne-t-il, en précisant que chaque dossier fera l’objet d’une enquête de crédit et d’une analyse d’états financiers. La location débutera à 9,50 $ le pied carré net.
Le 1250 boulevard René-Lévesque Ouest, au centre-ville de Montréal (Photo: courtoisie)
Éviter les mauvaises surprises
Toutefois, même les valeurs sûres, les dossiers que l’on croit blindés, peuvent entraîner de mauvaises surprises. La dissolution de la firme d’avocats pancanadienne Heenan Blaikie, survenue en février 2014, a par exemple laissé un goût amer à plusieurs propriétaires d’immeubles dans tout le pays.
Rappelons que l’équipe montréalaise du cabinet d’avocats occupait cinq étages, totalisant 125 000 pieds carrés, au 1250, boulevard René-Lévesque Ouest. Un nouveau bail venait tout juste d’être reconduit pour 15 ans… incluant des travaux de rénovation de 9 M$. Ce départ abrupt n’a toutefois pas empêché le propriétaire de l’immeuble, Oxford Properties, de le vendre cinq ans plus tard à Sun Life Canada et au fonds canadien Prime au coût record de 605 M$. Aujourd’hui, les locaux sont occupés à plus de 95 % par PwC.
Richard Hylands, président de la Corporation immobilière Kevric, a vécu une situation similaire, qu’il digère encore difficilement 20 ans plus tard. En 2000, le gestionnaire et copropriétaire de la Place Bonaventure a loué près de 140 000 pieds carrés à la société de télécommunication Téléglobe. «Analyse des états financiers, demande de garanties, rien n’a été laissé au hasard pour conclure un bail de 15 ans. Cette entreprise était une valeur sûre dans le marché de l’immobilier commercial», raconte Richard Hylands. Malgré tout, Téléglobe a fait faillite deux ans plus tard, en 2002. Il a ensuite fallu plusieurs années à Kevric pour trouver un nouveau locataire.