Petites (et grandes) révolutions dans les centres commerciaux
Jean-François Venne|Édition de la mi‑mai 2019« [Les centres commerciaux] veulent faire vivre des expériences à leurs consommateurs et leur offrir des services pratiques. » – Caroline Lacroix, vice-présidente, Communications et marketing, chez Cominar
IMMOBILIER COMMERCIAL. Depuis plusieurs années, le contexte économique complexe des centres commerciaux pousse ceux-ci à se remettre en question. Le commerce électronique, coupable souvent désigné, affecte bel et bien l’achalandage, mais peut-être pas autant qu’on pourrait le croire. En 2018, il a représenté 2,9 % du total des ventes au détail au pays, selon Statistique Canada. Le commerce en ligne détient toutefois de plus grandes parts de marché dans certains secteurs, comme la mode, par exemple.
Ce qui a vraiment nui aux centres commerciaux, c’est la fermeture de plusieurs grandes bannières, qui occupaient de gigantesques locaux. La perte des magasins Sears, par exemple, a laissé environ 15 millions de pieds carrés d’espaces inoccupés dans les centres commerciaux canadiens. Ces derniers doivent aussi s’adapter à des attentes différentes des consommateurs, notamment les plus jeunes, moins portés à s’y rendre pour acheter des chaussures ou un jean.
Offrir une expérience
«Pour attirer les consommateurs, les centres commerciaux doivent bonifier l’expérience qu’ils offrent», souligne Caroline Lacroix, vice-présidente, Communications et marketing, chez Cominar, propriétaire de nombreux centres commerciaux, dont Rockland et Alexis Nihon.
Les centres commerciaux porteraient une attention particulière à la mixité de leur offre commerciale. Les espaces libérés par certains grands détaillants représentent un défi, mais aussi une occasion. Certains accueillent désormais des commerces que l’on y voyait moins auparavant, comme des concessionnaires d’automobiles. Les centres Yorkdale, Chinook et Park Royal, parmi les plus performants du pays, hébergent des concessionnaires Tesla. Mercedes Benz et Genesis commencent à suivre cette tendance.
«Les boutiques éphémères gagnent aussi en popularité, et certains centres, comme Rockland, leur réservent des espaces qui leur sont dédiés», ajoute Mme Lacroix. Rockland loue des locaux pour une période de un à trois mois. Cela attire notamment des détaillants qui ont commencé en ligne, mais qui souhaitent avoir un contact plus direct avec leur clientèle. Womance, par exemple, effectue une tournée de boutiques éphémères dans plusieurs régions du Québec. Pour les centres commerciaux, cette pratique permet de créer un événement et d’assurer un renouvellement constant de l’offre, tout en repérant certains détaillants susceptibles de devenir des locataires à long terme.
Les centres commerciaux misent aussi sur le marketing expérientiel. «Ils veulent faire vivre des expériences à leurs consommateurs et leur offrir des services pratiques», précise Mme Lacroix. Les Galeries Rive Nord et le Mail Champlain ont offert gratuitement l’expérience de réalité virtuelle Enter the Duat, une aventure dont vous êtes le héros, qui se situe dans l’Égypte antique. Alexis Nihon propose un espace «cliquez et ramassez», lequel permet de récupérer divers colis et achats à un guichet unique. Sans oublier, bien sûr, la bonification de l’offre de restaurants, foodies oblige ! Rockland a ainsi transformé sa traditionnelle foire alimentaire en Cuisine Rockland, avec des restaurants comme Bàcaro, Jerry Ferrer et Pastaga.
L’aventure de l’expérientiel peut aller bien plus loin, souligne Francis Lessard, PDG de Graph Synergie. «Il faut réfléchir à la manière d’activer les endroits commerciaux de demain et de les rendre attrayants pour les prochaines générations», explique-t-il. Pour lui, cela dépasse l’offre d’expériences virtuelles ou de boutiques éphémères. Il s’agit carrément de revoir la mixité d’usage des sites et de les densifier. Les centres commerciaux ne peuvent plus se contenter d’être des lieux de commerce de détail, ils doivent devenir des milieux de vie ouverts matin, midi et soir, combinant du résidentiel, des bureaux et des places publiques.
Il donne l’exemple de deux projets sur lesquels Graph Synergie a travaillé : Bramalea City Center, en Ontario, et Miami Central, en Floride. Dans les deux cas, la réflexion a porté sur la mixité d’usage et la densification du site. Miami Central est un véritable TOD (projet orienté vers le transport) structuré autour d’une gare qui connecte les usagers à la nouvelle ligne de train intercité Brightline, ainsi qu’à d’autres moyens de transport tels le Metrorail, le Tri-Rail et le Metromover. Comme pour Brampton City Centre, le projet Miami Central mise sur le commerce de détail, mais aussi sur une offre résidentielle, de bureaux et de services.
«Ces projets représentent des investissements majeurs de plusieurs centaines de millions de dollars. Il faut donc faire preuve d’un réel engagement, conclut Francis Lessard. Ces investissements permettent toutefois de créer des projets adaptés aux attentes des prochaines générations.»
La tendance semble bien amorcée. Les espaces occupés par Sears, au Metropolis at Metrotown, de Burnaby, et au CF Richmond Centre, seront redéveloppés avec des tours résidentielles. Des projets résidentiels sont aussi dans les cartons des centres Yorkdale et Oakridge, entre autres.