Alors que le commerce de détail reprend son envol, les tours à bureaux tardent à remonter la pente. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER COMMERCIAL. La pandémie a eu de fortes répercussions sur le secteur de l’immobilier commercial au Québec. La nouvelle réalité force les investisseurs et les propriétaires à se repositionner dans un contexte inflationniste qui exerce une lourde pression. Les Affaires a pris le pouls de cette nouvelle réalité en s’intéressant aux stratégies d’adaptation déployées dans les différents secteurs à travers la province.
La pandémie n’a pas eu le même effet pour tous les secteurs d’activité dans l’immobilier commercial et, pour certains, il se fait encore sentir. Si elle a été bénéfique pour le secteur industriel, ceux du commerce de détail et des immeubles de bureaux, eux, ont connu des heures pénibles depuis mars 2020.
Les mesures sanitaires imposées par le gouvernement du Québec ont signifié la fermeture complète des commerces, et ce, à plusieurs reprises. La durée de ces fermetures a varié en fonction du secteur d’activité, mais elles ont laissé leurs traces. Les ventes en ligne ont explosé, et ce ne sont pas tous les dollars qui sont restés dans la province, l’attractivité de sites comme Amazon étant trop forte.
La disparition des mesures sanitaires aura au moins permis au secteur de la vente de détail de se replacer, mais la situation reste encore difficile pour les édifices de bureaux.
Retour en force des magasins
L’embellie est telle pour le commerce de détail que l’achalandage dans les grands centres commerciaux est de retour à ce qu’il était avant la pandémie, indique le vice-président aux conseils financiers, aux services-conseils et au courtage immobilier chez Deloitte, Georges Semine. « La vente en ligne est enracinée, mais les gens veulent sortir, explique-t-il. Les centres d’achats se sont repris depuis la pandémie. »
« Même si les ventes en ligne ont beaucoup progressé, les commerçants sentent le besoin d’avoir un magasin physique, ajoute le vice-président associé chez CBRE, Christopher Rundle. C’est nécessaire pour le marketing et l’expérience client. Les magasins physiques ne disparaîtront pas. »
La situation est également au beau fixe dans les plazas et centres commerciaux de quartier, qui ont souvent plusieurs commerces de proximité très fréquentés par la population avoisinante, souligne-t-il.
Climat économique
Il reste maintenant à voir si l’incertitude économique ambiante ne ternira pas la reprise amorcée l’an dernier.
Une étude effectuée l’été dernier par Côté Mercier Service de données sur les taux d’occupation des locaux commerciaux dans les artères commerciales montréalaises rapportait un taux intéressant de locaux occupés. L’étude lie également activité économique et occupation des locaux commerciaux, révèle Christian Mercier, associé et conseiller en recherche et en analyse de données immobilières chez Côté Mercier. Plus l’activité économique est bonne, plus les locaux sont pleins.
« Il y aura tout de même des défis en 2023, soumet-il. S’il y a une adéquation entre l’économie et l’occupation des locaux, si on s’en va vers une récession, que se passera-t-il ? J’ai comme l’intuition qu’on va voir un peu plus de locaux vacants si les consommateurs ont moins d’argent dans leurs poches, en plus des problèmes de main-d’œuvre et d’augmentation des coûts entre autres dus à l’inflation. »
Bureaux
Le secteur des immeubles de bureaux, lui, ne s’est pas encore remis de sa chute pandémique. Les chiffres dévoilés en avril par le CBRE montrent que la région du Grand Montréal a affiché un taux d’inoccupation record de 16,8 % (16,5 % à Montréal même et 17,3 % en banlieue) au premier trimestre de 2023.
« Dans les dernières années, il y avait déjà une tendance de fond qui s’est accélérée avec la pandémie, souligne Christian Mercier. Technologie, ventes en ligne, télétravail, tout ça est là pour rester. Ça a vidé les tours de bureaux. Ça n’a pas été une désertion complète et rapide, ça a plutôt été subi graduellement. »
Cette désertion n’est pas répartie équitablement, relate Christopher Rundle. Si les employés sont retournés en grande partie au bureau pour les immeubles de classe A, la situation demeure très difficile pour les édifices de classe B et C.
De même, les propriétaires d’édifices sont moins touchés s’ils accueillent des PME plutôt que des grandes entreprises, avance Georges Semine. « Ceux qui ont des bureaux dans les banlieues ou encore dans l’est et l’ouest du centre-ville de Montréal me disent que parce que les locataires sont des PME, la pandémie a eu moins d’effet. Il faut dire qu’avec 20 ou 30 employés, l’effet est moindre que pour une grande entreprise. Souvent, les PME ne veulent ou ne peuvent pas diminuer leur superficie de bureau. »
Encore deux ou trois ans
Georges Semine croit que les effets de la pandémie sur les immeubles de bureaux ne seront pas entièrement connus avant encore deux ou trois ans. « Certaines entreprises ont encore un bail prépandémique, rappelle-t-il. Nous allons voir la réalité complète lorsque ces baux viendront à échéance. C’est pourquoi je pense que la tendance à la diminution des locaux pour bureaux risque de se poursuivre encore deux ou trois ans. »
Christian Mercier est du même avis. Les entreprises ne savaient pas de combien de pieds carrés elles auraient besoin, et ce n’est pas en 2020 ou en 2021 qu’elles étaient en mesure de prendre cette décision. « Là, elles savent qu’elles ont besoin d’un peu moins d’espace et cherchent des bureaux de meilleure qualité, soumet-il. Les immeubles les mieux adaptés, les plus récents et centraux avec plus de services tireront bien leur épingle du jeu. »
À long terme, croit-il, le taux d’inoccupation pourrait bien grimper jusqu’à 25 % ou 30 %.
Premier de classe
À l’autre bout du spectre, on retrouve le secteur industriel, le premier de classe qui surperforme depuis mars 2020. Il est le seul qui, actuellement, continue de défier la hausse des taux d’intérêt depuis un an.
L’effet du taux de financement continue d’affecter le développement des propriétés, sauf dans l’industriel, note Georges Semine. « Le taux d’inoccupation est très bas dans l’industriel ; il est à moins de 2 %. »
La demande est toujours forte pour des locaux industriels, indique-t-il, mais il n’y a pas beaucoup d’offres. Elle se confronte toutefois à la pénurie de terrains pour construire.
« Cette pénurie-là ne peut pas être réglée facilement, tranche Christian Mercier. Il y a aussi pénurie de logements. Les terrains qu’on veut utiliser pour des logements, on ne peut pas les utiliser pour de l’industriel. »
Christian Mercier soutient que l’immobilier commercial est en fait une série de grandes plaques tectoniques qui bougent. Les ventes en ligne déplacent les stocks des commerces vers des entrepôts industriels. L’augmentation du trafic web lié au commerce exige plus de centres de données, qui sont logés dans des locaux industriels.
« L’industriel est en surchauffe, et ça ne bougera pas tout de suite, en tout cas pas en 2023, croit-il. Et même si ça baissait un peu, on ne constaterait presque pas d’effet. »