Plusieurs entreprises industrielles qui payaient leur loyer moins de 10 $ le pied carré (tous frais inclus) se voient désormais exiger 15 $, 20 $ et même près de 25 $ pour la même superficie. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER COMMERCIAL. Déjà que le taux d’inoccupation des immeubles industriels se maintient sous les 2 % presque partout dans la province, la pandémie et l’arrivée de nouveaux propriétaires venus de l’extérieur du Québec ont complètement transformé le marché depuis trois ans. De ce fait, les locataires assistent, bien malgré eux, à une flambée de leur coût de loyer qui double, voire triple, au moment de renouveler leur bail.
Montréal, Québec, Gatineau… la situation est partout pareille. Plusieurs entreprises industrielles qui payaient leur loyer moins de 10 $ le pied carré (tous frais inclus) se voient désormais exiger 15 $, 20 $ et même près de 25 $ pour la même superficie. « On sent néanmoins que les prix se stabilisent », observe Gilles Letellier, associé principal au Groupe immobilier CCI, à Gatineau, l’une des plus importantes agences immobilières commerciales de la région outaouaise. Selon ce courtier, le marché semble s’apaiser depuis les hausses de taux d’intérêt instaurées l’an dernier. « Mais faute de locaux disponibles, les loyers demeurent élevés. Ici, le cap des 18 $ le pied carré, tous frais inclus, a été atteint. Du jamais vu dans la région », partage ce courtier qui compte plus de 30 ans derrière la cravate.
Peu d’options pour les PME
Existe-t-il au moins des solutions pour faire face à cette situation ? « Malheureusement, très peu », concède Alex Migneault, agent de location à Location BCI, à Québec. Son marché, dit-il, vivait déjà une flambée des prix bien avant la pandémie en raison de la rareté de ce type d’immeubles dans la région de la Capitale-Nationale.
Ce professionnel croit tout de même que les entreprises faisant affaire avec un agent ou un courtier immobilier bénéficient d’une bonne carte dans leur jeu. « Nous sommes des experts qui avons une bonne connaissance du marché. Nous sommes bien placés pour évaluer et analyser les meilleures options qui se présentent aux locataires industriels », affirme l’agent de location Migneault.
Face aux fortes augmentations, plusieurs entrepreneurs sont tentés par l’option du déménagement, dit-il. Or, il prévient que cette solution génère sa part de coûts. « Dans bien des cas, un déménagement, incluant les frais de réaménagement au sein d’un nouveau local, peut représenter jusqu’à 100 $ le pied carré. Ce qui revient pas mal plus cher qu’une augmentation de loyer », explique Alex Migneault.
Revoir son modèle d’affaires
Fondateur de LPG Stratégies, Louis Grenier conseille, lui aussi, la prudence aux entreprises qui envisagent de déménager. Au-delà des coûts, l’entreprise doit s’assurer que la main-d’œuvre suivra. Ce qui n’est pas gagné d’avance, avise-t-il.
En fait, cet expert qui gravite dans l’univers immobilier industriel depuis plus de 40 ans se demande si les hausses de loyer en immobilier industriel sur le territoire québécois sont à ce point dramatiques. « Il y a déjà longtemps que le Québec est à la traîne dans ce secteur immobilier. Depuis des années, la facture du loyer représente moins de 10 %, tout au plus 15 %, des frais de gestion d’une entreprise », observe-t-il.
Certes, cette hausse de loyer des immeubles industriels — qui rattrape les marchés canadien et international, cause de grands maux de tête aux PME. Cette situation lance toutefois un message clair, croit Louis Grenier. « Plusieurs entreprises devront revoir leur modèle d’affaires afin de demeurer productives et rentables. Comme le font déjà celles de Vancouver et de Toronto qui absorbent ces coûts depuis près de dix ans. »
Qui va payer pour ça ?
La flambée des coûts de loyer ne sera pas sans conséquences, avise Jean-Luc Lacombe, courtier immobilier à LCA Commercial, dont le territoire couvre le Grand Montréal ainsi que plusieurs villes des Laurentides et de Lanaudière. De l’avis de ce courtier qui évolue dans le milieu de l’immobilier industriel depuis près de 15 ans, les hausses substantielles que subissent ses clients limitent leurs options. « En plus des loyers, les entreprises doivent composer avec les hausses de taux d’intérêt, les défis des chaînes d’approvisionnement, une pénurie de main-d’œuvre et la hausse des salaires. Tous ces facteurs compliquent la prise de décision », note-t-il.
De l’avis d’un autre courtier qui préfère garder l’anonymat, la situation actuelle dépasse toute logique. « Ce qui se produit est en voie de générer un déséquilibre important. Pas seulement sur le plan immobilier », craint-il.
« D’ici l’an prochain, des dizaines d’entreprises manufacturières ne pourront sans doute pas tenir le coup, à moins qu’elles n’augmentent considérablement le prix de leurs services et de leurs produits », affirme ce courtier inquiet de ce qu’il voit. Conséquemment, conclut-il, ce sont les consommateurs qui vont hériter de la facture de cette flambée des prix. Ce qui va continuer de nourrir l’inflation.