Transformer des tours de bureaux en logement: un projet ambitieux
Claudine Hébert|Édition de la mi‑mai 2023Grâce à un programme de subventions instauré à l’été 2021, la Ville de Calgary propose 75 $ le pied carré aux propriétaires et aux promoteurs dont les projets de conversion de bureaux en logements sont acceptés. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER COMMERCIAL. Face à des taux d’inoccupation records qui n’ont pas fini d’augmenter dans les tours de bureaux des centres-villes, l’idée de convertir ces dernières en immeubles à logements s’invite de plus en plus dans les discussions, ici comme ailleurs dans le monde. Est-ce pour autant une bonne idée ?
« C’est faisable. Mais il s’agit d’une solution très complexe… et surtout très coûteuse », répond d’emblée Scott Speirs, vice-président exécutif du conseil à l’agence immobilière CBRE. Le principal défi d’une telle conversion, insiste-t-il, demeure la grande superficie du plancher des tours de bureaux, qui limite les promoteurs dans la construction de plus petits logements. « L’accès aux fenêtres pour chacun des futurs logements constitue l’un des grands problèmes d’un tel projet. Ce qui réduit considérablement le nombre d’immeubles pouvant être convertis », soutient cet expert en immobilier commercial.
À ce propos, le directeur général de Montréal centre-ville, Glenn Castanheira, soutient que moins de 2500 logements pourraient être créés grâce à la conversion d’immeubles au cœur de la métropole. C’est ce que révèle, dit-il, une récente étude réalisée par l’Institut urbain du Canada (IUC). « À titre comparatif, le projet immobilier du Square Children représente à lui seul près de 4000 appartements. Autrement dit, la conversion d’immeubles de bureaux, c’est loin d’être la panacée comme certains le pensent », affirme cet expert.
En décembre dernier, l’agence immobilière CBRE révélait qu’à peine 2 % des quelque quatre milliards de pieds carrés de locaux pour bureaux à travers les États-Unis ont été convertis en logements depuis 2016. Or, depuis la pandémie, les taux d’inoccupation des tours de bureaux de plusieurs grandes villes, dont Houston et San Francisco, dépassent désormais le cap des 25 %.
Ça coûte cher !
Les coûts liés à ce type de projet font aussi figure d’obstacles non négligeables. « Afin qu’un projet de conversion soit rentable, un promoteur résidentiel se doit d’être prudent. En ce moment, ce sont principalement les tours de catégorie B et C qui présentent de bonnes occasions d’affaires. Ce sont toutefois des immeubles dont la structure et la mécanique de bâtiment (plomberie, électricité, ventilation…) ont généralement besoin de travaux majeurs, ce qui peut aisément doubler, sinon tripler la facture du projet de conversion. Et même plus s’il y a des surprises », avertit Scott Speirs.
En fait, cette solution pour redynamiser les centres-villes et bonifier l’offre de logements sera difficilement rentable à moins que les villes et les gouvernements ajoutent leur grain de sel, renchérit Jean Laurin, associé et président d’Avison Young au Québec. « Il y a beaucoup trop d’obstacles, en matière de coûts, de règlement de zonage, de gestion des baux actifs, mais également de risques financiers pour les promoteurs. Sans incitatifs, très peu de projets de conversion verront le jour », prédit-il.
Des subventions en vue ?
Ce qui se passe à Calgary pourrait néanmoins servir d’exemple, soutient l’équipe de l’IUC, qui a récemment publié une analyse sur la conversion d’immeubles de bureaux au pays et ailleurs dans le monde. Aux prises avec un taux d’inoccupation de 30 % de ses immeubles de bureaux, Calgary a pris le taureau par les cornes. Grâce à un programme de subventions instauré à l’été 2021, la Ville de Calgary propose 75 $ le pied carré (jusqu’à hauteur de 10 millions de dollars [M$]… et même plus sous l’approbation du conseil) aux propriétaires et aux promoteurs dont les projets de conversion de bureaux en logements sont acceptés. Résultat : au moins 14 projets de transformation sont en cours. Ce qui permettra de transformer deux millions de pieds carrés, soit le tiers des six millions souhaités par cette initiative, et d’offrir plus de 2000 logements sous peu, a fait savoir la Ville de Calgary par communiqué.
L’analyse de l’IUC, qui s’est penchée sur la conversion d’immeubles dans six villes canadiennes, dont Ottawa, Halifax et Winnipeg, avance que les hautes structures de béton, tout comme celles en acier, seraient celles affichant les meilleures conditions pour ce type de projet. L’organisme soutient que cette initiative pourrait éventuellement créer entre 18 000 et 22 000 logements dans les principales grandes villes du pays.
Un exemple dans notre cour
En attendant, les acteurs du marché immobilier commercial d’ici suivent de près la récente transformation du 16, place du Commerce, à L’Île-des-Sœurs. La tour de 10 étages qui accueillait l’entreprise Pages Jaunes jusqu’en 2016 (et la défunte Nortel dans les années 1990) a été transformée en 142 logements locatifs de luxe avec balcon. « Des logements qui devraient tous être loués d’ici la fin de l’automne 2023 », assure Claude Lachance, président de Lachance immobilier, promoteur de l’ambitieux projet.
Soulignons que l’immeuble de près de 165 000 pieds carrés, ainsi que des terrains avoisinants, avait été acheté au Groupe Mach au printemps 2020, au coût de 48 M$ par Lachance Immobilier et le Fonds immobilier de solidarité FTQ. Au total, le projet de conversion, incluant les coûts directs de construction et les autres frais (achat du bâtiment, frais de redevance au REM…) a coûté 56 M$.