Montréal comptait au début 2020 plus de 550 000 des 1,4 million de logements qui constituent le parc immobilier locatif du Québec, selon la CORPIQ. (Photo: Seb Hamel pour Unsplash)
IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. L’immobilier résidentiel locatif, au Québec, a le vent dans les voiles: outre un parc immobilier locatif qui se bonifie depuis deux ans à un rythme qui ne s’était pas vu depuis 30 ans, la demande pour les acquisitions d’immeubles multirésidentiels a explosé. La pandémie pourrait toutefois refroidir les ardeurs de plusieurs propriétaires.
Le Québec n’avait pas vu autant de nouvelles mises en chantier de logements locatifs depuis longtemps. Pandémie ou non, la province en a enregistré plus de 28 500 en 2020, selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
«C’est 16 % de plus qu’en 2019, qui était déjà une très bonne année», signale Paul Cardinal, directeur du service économique à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ). En fait, insiste l’économiste, le segment du logement locatif, au Québec, n’avait pas connu un tel sommet de mises en chantier depuis 1987.
Plus de la moitié de ces nouveaux logements, soit près de 16 000, ont vu le jour à Montréal, signale-t-il. «Ce nombre de nouveaux appartements dépasse d’ailleurs la somme des mises en chantier locatives des villes de Toronto, Vancouver, Calgary et Ottawa-Gatineau», ajoute Francis Cortellino, économiste de la SCHL.
À elle seule, l’île de Montréal comptait donc, en début d’année, plus de 550 000 des 1,4 million de logements qui constituent le parc immobilier locatif de la province, calcule la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui regroupe plus de 25 000 membres.
Il faut dire que la rentabilité est au rendez-vous. D’après le chercheur Louis Gaudreau, de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), les pratiques spéculatives sur le marché immobilier ont favorisé un rendement supérieur à 20% avant impôt depuis 15 ans.
«Même en ce qui a trait aux rénovations et aux améliorations majeures, le rendement obtenu figure aisément entre 4,4 % et 5,8 %, ce qui excède largement les taux offerts sur le marché des obligations», soutient celui qui a cosigné l’«Analyse du marché de l’immobilier et de la rentabilité du logement locatif», publiée en juin 2020.
Plusieurs facteurs de rentabilité
Qu’est-ce qui explique ces rendements soutenus? Depuis 2013, le marché du logement locatif est propulsé par des taux d’inoccupation historiquement bas au Québec. Avant la pandémie, le taux se trouvait sous la barre des 2 % pour l’ensemble de la province, soutient la SCHL. Les faibles taux d’intérêt pratiqués par la Banque du Canada ont également favorisé l’investissement immobilier à plusieurs égards.
«Ces éléments ont entraîné un coût de construction qui rencontre désormais le rendement du loyer marchand exigé. Il est donc devenu aussi rentable pour les investisseurs de construire des logements locatifs que de les vendre comme copropriétés», explique Benoit Poulin, premier vice-président à CBRE, qui dirige l’équipe nationale d’investissement multirésidentiel de cette firme immobilière à Montréal.
L’appétit des boomers et des nouveaux retraités pour le logement locatif figure aussi parmi les facteurs qui stimulent ce segment immobilier. Au cours des cinq dernières années, plus de 20 % des mises de chantier de logements locatifs concernaient des résidences pour aînés, note Paul Cardinal.
Le solde migratoire a aussi permis de donner un élan au marché locatif. Juste avant que la COVID-19 ne brouille les cartes, le Québec accueillait plus de 60 000 résidents non permanents (principalement des travailleurs temporaires et des étudiants) ainsi que plus de 33 000 nouveaux arrivants par année, rappelle l’économiste de l’APCHQ. «En s’appuyant sur ces données, on pouvait aisément prévoir la construction de plus de 20 000 nouveaux logements locatifs annuellement au cours des cinq prochaines années sans inonder le marché – des prédictions qui doivent maintenant être revues compte tenu du contexte», avertit Paul Cardinal.
Que réserve 2021?
Selon le «Rapport du marché locatif 2020» de la SCHL, publié fin janvier, le taux d’inoccupation des immeubles privés comprenant trois logements ou plus dans l’île de Montréal a doublé, pour atteindre 3,2 %. La CORPIQ, qui a mené un sondage interne auprès de ses membres, en décembre dernier, avance même que le taux d’inoccupation des logements locatifs a métropole aurait grimpé jusqu’à 6 %. «Un bon de cinq points depuis mai 2020», fait savoir Hans Brouillette, directeur des affaires publiques de l’organisme. «Il apparaît clairement que nos propriétaires d’immeubles de Montréal sont affectés par les conséquences de la COVID-19», soutient-il.
«Tant que les frontières ne seront pas rouvertes et que les étudiants collégiaux et universitaires ne seront pas de retour en mode présentiel en classe, le marché locatif continuera d’être fortement ébranlé, particulièrement à Montréal», poursuit-il.
Plusieurs petits propriétaires d’immeubles appréhendent aussi l’arrivée de multiples condos sur le marché locatif à long terme. Des logements qui étaient, pour la plupart, loués aux utilisateurs de la plateforme Airbnb. «Même des gîtes touristiques ont commencé à annoncer leurs chambres à louer à long terme», soulève Hans Brouillette. En attendant que la situation revienne à la normale, la flambée des prix des immeubles locatifs n’est pas sans provoquer des situations illogiques. «Aujourd’hui, un investisseur doit payer quatre fois le montant qu’il aurait déboursé pour le même immeuble il y a 20 ans. Parallèlement, les loyers n’ont pas du tout suivi ce même rythme», soulève Hans Brouillette.
La CORPIQ compte justement multiplier les représentations en 2021 auprès du gouvernement québécois afin de moderniser le processus de fixation du coût des loyers, confié au Tribunal administratif du logement. Des demandes auxquelles vont toutefois s’opposer plusieurs autres organismes. À commencer par l’IRIS. Cet organisme «craint un renforcement du logement comme investissement lucratif au détriment d’une vision du logement comme un bien essentiel». C’est pourquoi il réclame plusieurs interventions, notamment la révision du régime fiscal, indique Louis Gaudreau, pour favoriser un meilleur équilibre.