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Ne rénove pas qui veut son multilogement

Claudine Hébert|Édition de février 2021

Ne rénove pas qui veut son multilogement

Le coût horaire de la main-d'oeuvre professionnelle oscille entre 80 et 85$ l'heure, selon leur convention collective. (Photo: 123RF)

IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Près de la moitié des 1,4 million de logements du parc immobilier québécois a été construite avant les années 1980. Un très grand nombre de ces logements ont donc aujourd’hui besoin d’être rénovés, entre autres pour augmenter leur efficacité énergétique.

Sauf que, d’après la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20), adoptée en 1968, ne rénove pas qui veut.

Depuis 2017, Québec permet que les propriétaires occupants d’un immeuble de deux à quatre logements fassent eux-mêmes certains travaux «de façon bénévole». Une victoire pour la Corporation des propriétaires d’immeubles du Québec (CORPIQ), qui le revendiquait depuis des décennies.

Il est donc possible d’effectuer divers travaux d’entretien ou de réparation de son duplex, triplex ou quadruplex tels que la peinture de murs existants, le remplacement de tuiles de céramique brisées, le sablage et vernissage de plancher et la pose de cloisons sèches. Il est également permis de changer les armoires, de réaliser des travaux non structuraux en bois ou en plastique ou encore des travaux relatifs aux portes et aux fenêtres intérieures.

Toutefois, pour tout autre type d’immeuble à logements, le propriétaire ou le gestionnaire doit nécessairement embaucher des travailleurs de la construction détenant le certificat de compétence de la Commission de la construction du Québec (CCQ) correspondant aux rénovations à effectuer. Le coût horaire de la main-d’oeuvre oscille entre 80 $ et 85 $ l’heure, selon leur convention collective.

«On peut comprendre que des travaux d’électricité, de conduites de gaz ou encore de charpente soient réservés aux détenteurs de certificats de compétence, soutient Hans Brouillette, porte-parole de la CORPIQ. Mais pour changer des planchers, des fenêtres et peinturer des murs, une rémunération de 80 $ l’heure devient illogique.»

«Même les compagnies d’assurances, poursuit-il, utilisent un taux horaire deux fois moins élevé que celui prescrit par la loi R-20 pour fixer les primes.»

 

Le porte-parole de la CORPIQ, Hans Brouillette (Photo: Courtoisie)

Depuis un an, la CORPIQ a décidé de débattre de l’application de cette loi avec la CCQ devant le Tribunal administratif du travail, car elle souhaite «mettre fin aux règles qui ne tiennent pas la route». Certains de ses membres doivent justement se présenter en cour en 2021 contre la CCQ, qui leur réclame des centaines de milliers de dollars pour des travaux soi-disant réalisés en contravention avec la loi R-20.

«Nous allons continuer de presser le gouvernement du Québec afin qu’il s’attaque une fois pour toutes à cet enjeu qui nuit à l’abordabilité des logements», plaide Hans Brouillette.

 

La CCQ surveille les chantiers

D’ici là, la CCQ, qui applique les modalités de la loi R-20, garde à l’oeil les propriétaires et les gestionnaires d’immeubles qui voudraient passer outre. Sans pouvoir le chiffrer, la CORPIQ signale d’ailleurs une hausse du nombre d’inspections de la CCQ au cours des trois dernières années.

«Le parc immobilier locatif est, en effet, un secteur sous haute surveillance depuis quelques années», confirme Mélanie Malenfant, chef des affaires publiques et médias à la CCQ. Il s’agit, dit-elle, d’un secteur plus propice au travail au noir.

«Cette loi sert aussi à défendre la santé et la sécurité du public», renchérit Éric Boisjoly, directeur général de la FTQ Construction, un syndicat qui regroupe près de 45 % des employés du secteur de la construction au Québec.

«Plusieurs propriétaires de logements ont tendance à banaliser la nature des travaux de rénovation, soutient le syndicaliste. Pourtant, plusieurs appartements dans les grands centres ont été construits à une époque où les constructeurs utilisaient de la peinture au plomb et de l’amiante comme isolant dans les cloisons. Ça prend de la main-d’œuvre qualifiée pour disposer de ces matériaux cancérigènes.»

Même dans un bâtiment neuf, la rénovation doit être effectuée par des employés qui respectent le Code du bâtiment pour bénéficier des garanties, ajoute Éric Boisjoly. «Le gouvernement se devait de tracer une ligne [avec la loi R-20]. À lui maintenant de déterminer où se situe celle de la santé et la sécurité du public.»