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IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Les entrepreneurs et promoteurs parlent souvent d’un taux de 4 % comme du point de bascule pour évaluer la rentabilité ou non de leurs projets d’immeubles locatifs. Pourquoi ?
Il faut d’abord comprendre qu’ils parlent du taux d’intérêt commercial, et non du taux directeur ou du taux hypothécaire résidentiel offert aux acheteurs de maisons.
Ce taux est basé sur le marché obligataire canadien, explique Maëlle Boulais-Préseault, économiste chez Desjardins. « D’habitude, la règle de pouce, c’est que ça suit beaucoup les taux obligataires, les taux obligataires 10 ans surtout pour ces prêts-là, plus un 75 points de base environ qu’on ajoute surtout pour comprendre le risque. »
Les taux commerciaux avaient déjà passé sous le seuil du 4 % chez Desjardins. L’économiste mentionne que vers la mi-octobre, le taux 10 ans de la Banque du Canada était de 3,2 %. En y ajoutant 75 points de base, on arrivait ainsi à 3,95 %.
Le maximum
Plusieurs intervenants font écho à Vincent Chiara, président et fondateur du Groupe Mach, qui affirmait plus tôt cette année que le point d’équilibre financier pour un projet résidentiel nécessitait un taux d’intérêt de 4 %.
Pour David Fernandez, CPA, associé et chef des finances et des opérations chez Maître carré, un taux de 4 % pour financer un projet d’immeuble locatif est « le maximum » qu’un promoteur peut supporter s’il veut le rentabiliser. « Un taux d’intérêt en haut de 4 %, c’est difficile de rentabiliser un projet, estime-t-il. Ça fait en sorte qu’il ne reste pas de liquidité à la fin. Donc, on se retrouve dans un scénario où il faudrait, mensuellement, injecter du capital juste pour couvrir la dette, ce qui ne fait aucun sens. Donc, dans ce temps-là, on retarde les projets. »
Avec un taux de 4 %, il reste environ 1 % de rendement, calcule-t-il. En comparant un investissement de la même somme dans une obligation ou un compte d’intérêt élevé à 4 % ou 5 %, la logique est de dire que ça n’en vaut pas le risque de faire un projet immobilier.
Le PDG de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Maxime Rodrigue, abonde dans le même sens. « Le point de déclenchement, c’est vraiment 4 %, tranche-t-il. Il y a le ratio de couverture de dette aussi qui est de 1,3 chez les institutions financières actuellement. Donc, ça te prend une rentabilité de 30 % pour que ça fonctionne. C’est un casse-tête. Plus le taux est bas, mieux c’est, plus ça donne une marge de manœuvre. Avec un ratio de 1,3, ça ne te prend pas un gros imprévu pour que ton projet soit déficitaire. »
Nuance
La vice-présidente et directrice générale de la firme immobilière Rachel Julien, Mélanie Robitaille, ne veut pas parler de « chiffre magique », même si elle concède que le 4 % a beaucoup de sens. « C’est vrai qu’en haut de 4 %, c’est très difficile de faire balancer un projet locatif parce qu’il y a seulement trois facteurs qui viennent faire varier l’équation d’un pro forma », indique-t-elle.
Il y a, d’une part, les revenus de loyer qui sont déjà au maximum de ce que le marché peut supporter, estime-t-elle. Ensuite, les coûts de construction, qui demeurent très élevés même s’il y a eu une certaine accalmie en 2024.
« Finalement, le seul facteur qui varie et influence la mise de fonds ainsi que la profitabilité d’un projet locatif, c’est le taux d’intérêt, observe Mélanie Robitaille. Est-ce que 4 % est le chiffre magique ? Je ne serais pas prête à m’avancer. Je pense que chaque projet a son propre contexte, mais que, certainement, on est passé de ne pas pouvoir faire des projets locatifs auparavant à pouvoir en faire maintenant. »
Pas seulement le taux
Pour Frédéric Lepage, associé du groupe audit et certification du bureau de Montréal de PwC, le taux n’est pas le seul élément dictant la possible rentabilité d’un projet résidentiel locatif.
« Il n’y a pas de promoteur qui va construire si chacun des projets se fait contester puis ça prend plus de temps pour passer au conseil municipal, souligne-t-il. Le taux peut bien descendre à 3,5 % ou 3,25 %, certains projets ne démarrent pas parce qu’il y a d’autres embûches. En tout cas, le taux n’est pas le seul point à considérer. »