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Jean Sasseville

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Jean Sasseville

Expert(e) invité(e)

Le nœud gordien de la densification

Jean Sasseville|Mis à jour le 06 novembre 2024

Le nœud gordien de la densification

La légende d'Alexandre le Grand est utilisée comme métaphore d'un problème apparemment insoluble qui est résolu en exerçant la force brute. (Photo: Adobe Stock)

EXPERT INVITÉ. Même si la densification permet d’augmenter l’offre de logements et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre en réduisant l’étalement urbain et l’usage de l’automobile, les villes se retrouvent avec une situation complexe qui est difficile à débloquer.

La densification implique des investissements majeurs. Il faut adapter les infrastructures existantes aux changements climatiques, en construire de nouvelles dans les secteurs propices à la revitalisation et à la densification, ainsi qu’améliorer les réseaux de transport collectif.

Plusieurs maires désirent densifier pour combler le manque de logements. Mais avec le phénomène du «pas dans ma cour», la protection des vues, la protection patrimoniale et la peur de l’augmentation du trafic automobile, les villes peuvent difficilement avancer. Comment dénouer la situation?

La coupe du nœud gordien est une légende grecque antique concernant un nœud complexe qui liait un char à bœufs. Celui qui parviendrait à le défaire serait destiné à gouverner toute l’Asie. En 333 av. J.-C., Alexandre le Grand fut mis au défi. Au lieu de le démêler laborieusement comme prévu, il le coupa de manière spectaculaire avec son épée.

Cette légende est ainsi utilisée comme métaphore d’un problème apparemment insoluble qui est résolu en exerçant la force brute. Je crois qu’une meilleure compréhension des investissements pour les infrastructures et le transport en commun permettent de la densification et entraînent des revenus fonciers additionnels pourrait contribuer à déterminer plus facilement les seuils de densité souhaitables.

Le centre-ville subventionne les quartiers de bungalows

Voici une visualisation des revenus fonciers résidentiels par mètre linéaire de rue:

(Source: Stéphane Guidoin)

Stéphane Guidoin, ancien directeur du laboratoire d’innovation urbaine de la Ville de Montréal et actuellement consultant en innovation et transformation au sein de Kainos conseil, a comparé les revenus fonciers par mètre de rue (un indicateur de la quantité d’infrastructure nécessaire). Il montre que des quartiers de bungalows produisent entre 200$ et 300$ le mètre de rue, alors que des quartiers à plus faible revenu dans Côte-des-Neiges ou Parc-Extension produisent le double ou le triple. Ce sont les foyers à revenus plus modestes qui contribuent le plus du fait de la densité des quartiers où ils résident.

«La première chose qui saute aux yeux: la contribution sans commune mesure du centre-ville dans les revenus municipaux», souligne Stéphane Guidoin dans son blogue.

Cette analyse n’est pas une critique du mode de vie en fonction d’où vivent les gens. C’est plutôt une contribution à la réflexion sur les politiques publiques, plus précisément sur les incitatifs et les contradictions créées par celles-ci, et sur l’impôt foncier en particulier.

Densification humaine

«La notion d’échelle humaine n’a absolument rien à voir avec les hauteurs de construction. Ainsi, la rue Notre-Dame dans le Vieux-Montréal est à l’échelle humaine, même si certains bâtiments ont 40 étages. À l’inverse, les environs du boulevard Saint-Martin à Laval et du boulevard Taschereau à Longueuil ne sont d’aucune façon à l’échelle humaine, et ce, bien que leur bâti comporte peu d’étages», souligne Bruno Collin, urbaniste.

«Dans les années 1950, Jane Jacobs a expliqué que l’échelle humaine et le confort d’un milieu de vie découlent d’abord de la qualité d’implantation de son bâti, de sa mixité fonctionnelle et de sa relation à la rue, ajoute-t-il. C’est ainsi que plusieurs villes européennes, telles que Paris et Barcelone, sont considérées être à l’échelle humaine malgré des hauteurs beaucoup plus élevées qu’à Montréal.»

Qui va trancher?

Comment assurer la pérennité des finances des villes? Comment contribuer à une qualité de vie urbaine? Comment mieux faire face aux changements climatiques?

Il n’y a pas de réponse simple et consensuelle. Plus il y a de densité, plus il y a de taxes foncières. Ce qui aide à financer les infrastructures et les réseaux de transports collectifs.

L’équilibre budgétaire ne doit pas dicter la forme de la ville, au risque d’en dénaturer l’essence, mais doit être un facteur de politique publique permettant d’atteindre un cadre de vie riche.

Il me semble que la majorité de la population est d’accord pour densifier de façon réfléchie près des lignes de transports.

Le Plan d’urbanisme et de mobilité (PUM) 2050 prévoit une dizaine de circuits de tramways totalisant 184 kilomètres et de la construction de logements autour pour justifier l’achalandage. Mais en pratique, le pouvoir décisionnel, réparti entre plusieurs intervenants, fait tomber des projets de développement immobilier.

Pointe-Claire a barré un projet à vocation mixte, en partie résidentielle, sur une section du stationnement du centre commercial Fairview Pointe-Claire. Le Grand parc de l’Ouest créé récemment a 15 fois la superficie du parc du Mont-Royal. C’est un beau projet, mais il limitera l’ajout de logements près de certaines stations du REM.

Qui réussira à trancher ce nœud gordien?

Je lance un défi aux maires et à la ministre de l’Habitation pour qu’ils révisent les règlements de zonage et permettent des densités accrues à proximité des lignes de transport en commun.