Le but de l’exercice pour les villes est d’identifier des propriétés stratégiques où elles pourraient mettre en place des projets structurants. (Photo: 123RF)
IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Depuis juin dernier, toutes les municipalités québécoises ont accès à un droit réservé auparavant à la Ville de Montréal : le droit de préemption. Ce droit de premier refus sur la vente d’immeubles et de terrains aura-t-il des conséquences sur le marché résidentiel ?
Le droit de préemption permet aux municipalités de viser des propriétés foncières et résidentielles de leur territoire par un avis d’assujettissement. Lorsqu’une offre d’achat est effectuée sur une propriété visée, le propriétaire doit en informer la municipalité. Cette dernière a 60 jours pour exercer son droit de préemption, et ainsi décider si elle acquiert la propriété au même prix et aux mêmes conditions que celles proposées par l’acheteur initial.
Si la municipalité refuse de se prévaloir de son droit ou ne s’en prévaut pas, la vente peut alors procéder avec l’acheteur initial et l’avis d’assujettissement est radié. À l’inverse, si un propriétaire visé par un avis décidait de vendre son immeuble sans en tenir compte, la municipalité pourrait faire annuler la vente.
L’avis d’assujettissement dure dix ans à partir du moment de son inscription au registre foncier.
Le but de l’exercice pour les villes est d’identifier des propriétés stratégiques où elles pourraient mettre en place des projets structurants. Ces projets peuvent aussi bien être des logements sociaux ou abordables que des parcs et des infrastructures de transport collectif ou de loisirs.
Incontestable
Le droit de préemption se compare au droit de premier refus qu’on aperçoit souvent dans les baux commerciaux, explique Me Jean-Maxim LeBrun, avocat spécialisé en droit immobilier chez Dunton Rainville. « Les arguments des municipalités pour utiliser le droit de préemption sont qu’il est moins radical que l’expropriation et que c’est un outil plus flexible, mais également qu’elles iront chercher des propriétés à leur valeur marchande », ajoute-t-il.
Le principal problème pour les propriétaires, c’est qu’il n’existe aucun mécanisme de contestation envers l’avis d’assujettissement. « Vous vous soumettez à la discrétion entière de la municipalité, souligne Jean-Maxim LeBrun. Vous ne pouvez pas dire que votre propriété n’est pas stratégique pour elle ou qu’il y a un meilleur endroit. Dans la mesure où l’application est raisonnable, à ce moment-là, on ferme les livres. »
De même, un propriétaire ne pourrait contester le type de projet envisagé par la municipalité. « C’est à la pure discrétion de la municipalité, tranche-t-il. Que ce soit pour développer un parc industriel, une nouvelle rue ou un parc, tant que ça a une utilité publique. »
Difficile à évaluer
Les effets du droit de préemption sont encore difficiles à évaluer, estiment Jean-Maxim LeBrun et Marc Lefrançois, courtier immobilier chez Royal LePage Tendance. La difficulté vient du fait qu’à leur connaissance, peu de cas d’utilisation de ce droit ont été observés. « C’est un droit pratiquement nouveau partout en province, sauf à Montréal, note Jean-Maxim LeBrun. Il n’y a pas encore eu d’exemple d’usage à grand déploiement, et la Ville de Montréal en a fait peu usage. »
La plupart des villes se réjouissent tout de même de ce nouveau pouvoir, mais comme pour n’importe quel pouvoir discrétionnaire, il y a toujours une certaine retenue et certaines inquiétudes entourant son utilisation, mentionne-t-il.
Répercussions possibles
Malgré tout, du point de vue des propriétaires, Jean-Maxim LeBrun estime que le droit de préemption n’aidera certainement pas la promotion du nombre de propriétés sur le marché immobilier résidentiel.
« Le problème sera du côté des délais, soumet-il. Vous retenez votre propriété pour 60 jours, mais surtout, vous devez forcer un acheteur à se “commettre à vous” pour la même période. Regardez où on en était en 2021, mais, même dans un marché plus normal, je ne connais pas beaucoup d’acheteurs qui vont s’engager deux mois à l’aveugle tout en sachant que la vente peut tomber à l’eau parce que la Ville peut intervenir. »
Le prix des propriétés visées par un avis d’assujettissement pourrait aussi se retrouver à la baisse, selon Jean-Maxim LeBrun. Un propriétaire doit alors sortir sa propriété du marché pendant 60 jours, en attendant de savoir si la Ville l’achètera ou non. L’effet serait plus important dans un marché en effervescence que dans le marché actuel, où les délais de vente sont plus longs. « Le produit serait alors moins attrayant pour un acheteur, remarque-t-il. Il se pourrait que certains acheteurs saisissent l’occasion pour négocier le prix à la baisse. On peut présumer que pour ces propriétaires, il y aura un impact négatif. »