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Le marché locatif à bout de souffle

Charles Poulin|Édition de la mi‑février 2023

Le marché locatif à bout de souffle

Il est très difficile pour un entrepreneur de construire un logement à moins de 350 000$. (Photo: 123RF)

IMMOBILIER RÉSIDENTIEL. Le marché locatif québécois est à bout de souffle. Les taux d’inoccupation maigrissent à vue d’œil partout en province depuis quelques années, tout comme le nombre de nouvelles constructions. Il faudrait doubler le rythme actuel de mises en chantier pour lui donner un peu d’air, mais plusieurs obstacles rendent cet objectif difficile à réaliser.

Entre 2017 et 2021, le taux d’inoccupation s’est tout simplement écrasé dans les dix plus grandes villes de la province. Six d’entre elles affichaient un taux supérieur à 3 % (généralement considéré comme le point d’équilibre du marché) en 2017, en plus de Montréal, qui s’approchait de ce chiffre avec 2,8 %. En 2021, seule la métropole se retrouvait au-dessus de cette barre (3,6 %) et, mis à part Québec et Laval (2,8 % et 2,2 %), le taux des sept autres a dégringolé sous les 2 %. Trouver un logement à Terrebonne relève presque d’un miracle, avec un taux d’inoccupation de… 0,2 %.

Les chiffres de 2022, révélés par la SCHL à la fin janvier, ne laissent présager rien de positif. Les grandes régions de Montréal et de Québec se retrouvent respectivement à 2,0 % et à 1,5 %, et Gatineau, à 0,8 %.

 

Ralentissement

Pour ajouter au problème, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) prévoit une diminution de 32 % du nombre de chantiers de logements locatifs en 2023. L’organisme, qui représente les entrepreneurs en construction, indique que plusieurs projets restent sur la glace actuellement en raison des conditions actuelles.

« Les mathématiques ne fonctionnent plus, laisse tomber le directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante. La conjoncture économique restera difficile en 2023. »

Il explique qu’il est très difficile pour un entrepreneur de construire un logement à moins de 350 000 $. À ce prix-là, impossible de fixer le loyer à 800 $ par mois. « C’est même difficile de le mettre à 1500 $, estime-t-il. C’est un loyer beaucoup trop élevé pour ce que les gens sont capables de payer. Le risque d’investissement est trop grand, alors les entrepreneurs passent leur tour. »

Pas attrayant

En plus des facteurs économiques, le président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ), Martin Messier, souligne que l’attrait des investisseurs envers le marché locatif est limité à cause de plusieurs autres contraintes.

Il estime que les règles de gestion des parcs immobiliers et de hausses de loyer sont désuètes. « Ce n’est pas simple présentement, plaide-t-il. L’immobilier locatif au Québec a des inconvénients importants. Ce qui est le plus paradoxal, c’est qu’en restreignant les occasions d’augmentation de loyer, ça contribue à les faire grimper parce que ça éloigne les investisseurs et ça ralentit la construction. Il faut stimuler l’intérêt des investisseurs envers ce créneau. »

Martin Messier explique qu’un investisseur qui finance son projet à un taux d’intérêt de 6,5 % s’expose à un rendement négatif. Sans compter l’inflation, qui fait aussi peur : lorsqu’elle monte de 5 %, 6 % ou 9 %, les règles de la Régie du logement ne permettent pas d’appliquer des croissances de loyer de cette ampleur. « Le contrôle des loyers est trop important, avance-t-il. Ça nuit à l’offre de logements. »

 

Solutions

Pour accélérer le rythme de construction, il faudra d’abord trouver des endroits où construire. Martin Messier suggère de s’attaquer au zonage dans des quartiers déjà développés et revoir le plan d’aménagement urbanistique des municipalités pour voir où il serait possible d’ériger des immeubles à plus haute densité. « Il faut être imaginatif, mentionne-t-il. Par exemple, les centres commerciaux et les stationnements peuvent être utilisés pour construire des logements et densifier le territoire. »

Autant l’APQ que la CORPIQ s’entendent sur le fait qu’une réforme du fonctionnement de l’immobilier locatif au Québec doit survenir, idéalement plus tôt que tard. « Il n’est pas minuit moins une ; il est minuit et une, tranche Marc-André Plante. Tout ce qu’on ne fera pas en ce moment aura un impact sur ce qu’on devra faire dans les prochaines années. Plus on attend, plus on va provoquer une crise du logement plus difficile et plus longue. »

Il croit que le Québec est mûr pour se doter d’une politique nationale de l’habitation. Il faut réunir les intervenants et établir un plan de match pour accélérer le rythme de construction. « Il y a actuellement une série d’enjeux dont l’indicateur est au rouge, note-t-il. Les chaînes d’approvisionnement, le manque de main-d’œuvre, la lourdeur administrative, la réglementation urbanistique municipale… Il y a une mobilisation et un travail qu’on ne fait pas sur le terrain au Québec en ce moment. »