Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

La réglementation «étouffe» les distilleries du Québec

Sylvie Cloutier|Publié le 13 juillet 2023

La réglementation «étouffe» les distilleries du Québec

Le Québec est la dernière province où la loi qui encadre les boissons alcooliques date de plus d’un siècle. (Photo: Dylan de Jonge Pour Unsplash)

EXPERTÉE INVITÉE. Je suis certaine que plusieurs d’entre vous vivent un engouement pour les produits québécois. Le Québec a su se renouveler dans le domaine alimentaire et le secteur des alcools en est un qui a connu une très forte croissance dans la dernière décennie. Nous avons des produits de qualité qui se distinguent tant ici qu’à l’étranger.

Mais il n’est pas facile pour un distillateur de spiritueux de tirer son épingle du jeu. En effet, la fabrication de spiritueux au Québec est régie par deux types de permis : le permis artisanal et le permis industriel.

Le permis artisanal est réservé aux producteurs agricoles, qui sont enregistrés à cette fin auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Le détenteur de ce permis doit cultiver, récolter et transformer toute la matière première qui compose son distillat.

À cela s’ajoutent d’innombrables critères qui rendent ce permis très exclusif.

C’est énormément de travail, et je lève mon chapeau à tous ces producteurs qui doivent s’occuper de leur production, tout en développant une expertise pointue en distillation, ce qui exige des investissements significatifs au niveau des installations et des procédés.

 

Des permis complexes pour les distillateurs

Le permis artisanal prévoit aussi un encadrement strict des matières premières, très spécifiques, qui peuvent être utilisées : le raisin, la pomme, le miel, l’érable et les petits fruits.

En d’autres termes, si vous êtes un producteur agricole qui cultive des céréales ou des pommes de terre par exemple, et que vous voulez les transformer pour faire des spiritueux, vous ne pourriez actuellement pas opérer sous le permis artisanal.

Pourquoi? Parce que notre loi est ainsi faite, et est désuète pour les spiritueux.

Quant au permis industriel, il regroupe la très grande majorité, voire la quasi-totalité des spiritueux québécois que vous retrouvez sur les tablettes des succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ).

Le permis industriel englobe un large spectre de modèles d’affaires.

Que les spiritueux soient achetés en vrac à l’étranger et embouteillés ici, ou qu’ils soient entièrement élaborés à partir d’ingrédients locaux fermentés et distillés par des maîtres distillateurs, le permis industriel englobe toutes les autres méthodes de production à l’exception du permis artisanal, sans distinction.

 

La fameuse majoration

Les distillateurs québécois sous permis industriel peuvent vendre leurs spiritueux à la propriété depuis seulement cinq ans.

Grâce à cette avancée, l’ensemble des microdistilleries ont pu joindre les vignobles, les cidreries, les hydromelleries et les brasseurs pour commencer eux aussi à développer l’agrotourisme.

Il était temps!

Les distilleries, sous permis industriel, font face à une incohérence réglementaire. Une distillerie qui vend une bouteille à sa propriété doit payer à la SAQ un montant de majoration très similaire à ce même produit si celui-ci est vendu dans les succursales de la société d’État.

Cette majoration comprend une portion représentant les dividendes remis au gouvernement, mais aussi une compensation pour les frais d’exploitation de la SAQ.

Or, celle-ci n’engage évidemment aucun frais d’exploitation lorsque les distilleries vendent leurs produits à la propriété.

La SAQ a fêté son centenaire en 2022. C’est aussi la Loi sur la Société des alcools du Québec qui arbore son blason séculaire.

Vous l’aurez donc compris, la loi qui réglemente le secteur des spiritueux date de l’époque de la prohibition!

 

Plus de 50% du prix de vente

Le Québec est la dernière province où la loi qui encadre les boissons alcooliques date de plus d’un siècle.

C’est pourquoi il existe encore un montant vertigineux de majoration supérieur à 50 % du prix de vente de la bouteille, une portion nettement plus élevée que dans le reste du Canada.

Et attention, cette majoration ne représente qu’une fraction des dépenses d’une distillerie.

Les distilleries doivent encore payer les droits d’accise du fédéral, la taxe spécifique sur l’alcool du Québec ainsi que la TPS et la TVQ, sans oublier leurs matières premières, leur main-d’œuvre, leurs installations et équipements, tout en essayant de dégager un profit pour réinvestir dans leur entreprise.

Est-ce trop demander que la portion de la majoration qui représente les « frais d’exploitation de la SAQ » revienne aux distilleries pour leurs produits vendus à la propriété?

 

Il y a trop de distilleries?

Elles sont nombreuses et évoluent dans un milieu hautement concurrentiel. Mais c’est exactement pourquoi elles se démarquent et que nous avons des produits qui se distinguent au Québec et ailleurs.

Les distilleries du Québec raflent des médailles à chaque concours international où elles sont inscrites.

Heureusement, nos distilleries peuvent s’orienter vers les exportations pour survivre, puisque le contexte réglementaire de leur propre province les étouffe.

La production des spiritueux est payante pour la SAQ, pas pour les distilleries.

Celles-ci font maintenant partie de notre patrimoine alimentaire et culturel. Mais à l’heure actuelle, les deux tiers d’entre elles sont déficitaires. Pourtant, ces entreprises gardent le cap et constituent d’importants vecteurs de fierté, de contribution à la vitalité des régions dans lesquelles elles sont installées.

Ce fleuron québécois a prouvé sa résilience, sa passion et son savoir-faire. C’est maintenant à notre gouvernement de cheminer vers le 21e siècle.