Ambition mal placée au projet de quartier Namur-Hippodrome?
Jean-François Venne|Édition de la mi‑octobre 2020Un quartier réellement innovant doit faire la part belle au droit au logement, croit le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) (Photo: Véronique Laflamme - FRAPRU)
INFRASTRUCTURES ET GRANDS PROJETS. L’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) s’interroge sur la faisabilité des ambitions vertes du projet de quartier Namur-Hippodrome dans un récent rapport, mais il s’avance moins au sujet de la place du logement social dans cette requalification urbaine. Pourtant, cela constitue un besoin criant dans Côte-des-Neiges (CDN).
Les participants à la consultation sur le projet de création d’un nouveau milieu de vie sur le site de l’ancien hippodrome souscrivaient tous à la volonté de concevoir un quartier vert, selon la présidente de l’OCPM, Dominique Ollivier. «Cependant, les commissaires établissent des conditions à mettre en place et des pièges à éviter pour y arriver», précise-t-elle.
La zone à construire se trouve en effet enclavée entre de grandes infrastructures de transport, notamment les autoroutes Décarie et 40, les chemins de fer du CN et du CP et le parc industriel de Mont-Royal. Les nombreux développements immobiliers déjà prévus dans le secteur (comme Royalmount et Le Triangle) viendront en outre ajouter près de 200000 déplacements par jour dans un milieu déjà en proie à d’importants problèmes de congestion routière.
Le rapport publié le 1er octobre s’interroge aussi quant à l’incidence du raccordement du boulevard Cavendish au futur quartier, une condition exigée par le gouvernement du Québec lorsqu’il a cédé le terrain à la Ville de Montréal en 2017. «Cela laisse supposer une augmentation de la circulation de voitures et de camions dans ce secteur», s’alarme Dominique Ollivier. Tout cela crée un milieu jugé hostile à l’implantation d’un quartier vert.
Gentrification verte
L’OCPM prévient aussi des risques d’ «éco-gentrification». La construction d’un quartier vert doté d’équipements de qualité pourrait en effet se traduire par une augmentation de la valeur des propriétés, au détriment du logement social et abordable dont ce secteur a cruellement besoin.
Darby MacDonald, organisatrice communautaire au groupe Projet Genèse, se réjouit de voir que le rapport prévient contre les dangers de l’ «éco-gentrification» mais déplore qu’il n’exige pas un nombre précis de logements sociaux. Son organisme en réclame 2500, soit environ 40% des 6000 unités prévues. «C’est la quantité de ménages dans CDN qui attendent pour des HLM, un nombre qui n’a pas diminué depuis plus de six ans», explique-t-elle.
L’organisatrice communautaire précise que 4000 ménages dans le quartier consacrent au moins 80% de leurs revenus à payer leur loyer. « Donc 2500 logements sociaux, cela ne répondrait qu’à une partie des besoins», ajoute-t-elle. Darby MacDonald estime que les groupes communautaires et les résidents de CDN doivent avoir leur mot à dire dans la réalisation du nouveau quartier, afin d’augmenter les chances d’atteindre les objectifs de mixité sociale de la Ville.
De son côté, Catherine Lussier, organisatrice communautaire et responsable des dossiers montréalais au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), croit qu’un quartier réellement innovant doit faire la part belle au droit au logement. «Il s’agit d’un terrain public, donc la Ville de Montréal doit s’assurer que le projet sert aussi à construire des logements sociaux», juge-t-elle.
Elle rappelle que dans Côte-des-Neiges, près de 6500 ménages ont des besoins impérieux de logements. Ils habitent des appartements trop petits pour le nombre de résidents, trop chers et parfois carrément insalubres.
Une gouvernance agile
Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, croit quant à lui que la Ville de Montréal doit élargir sa vision de la mixité d’usages. Le rapport de l’OCPM s’attarde beaucoup à la présence de services publics et de commerces de proximité, mais moins aux autres types de lieux comme les espaces de travail collaboratifs, les commerces d’autres types, voire le manufacturier léger. «Or, cette mixité d’usages constituera un élément important de la réussite ou de l’échec du quartier», affirme-t-il.
Michel Leblanc note aussi que les commissaires de l’OCPM s’avancent beaucoup sur la manière d’atteindre les objectifs. «La Ville devrait préciser dans ses appels d’offres des conditions générales et des cibles, mais accorder aux fournisseurs la latitude pour proposer leurs solutions innovatrices, soutient-il. Laissons aux promoteurs l’occasion de nous surprendre.»
Surtout, il réclame l’instauration d’un mécanisme de gouvernance agile et transparent. Michel Leblanc rappelle qu’il a fallu cinq ans à la Ville de Montréal et au gouvernement du Québec pour s’entendre sur la cession du terrain, et encore trois ans avant d’obtenir un rapport de consultation publique. «C’est extrêmement long, déplore-t-il. La Ville doit accélérer le processus en prévoyant des parcours simples pour ceux qui veulent faire des propositions ou répondre à des appels d’offres.»
Dominique Ollivier souhaite pour sa part que le projet Namur-Hippodrome agisse comme catalyseur. «Il ne s’agit pas de construire un îlot vert replié sur lui-même, mais plutôt une locomotive qui entraîne dans son sillage d’autres projets de développement», fait-elle valoir.