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Hôpital Maisonneuve-Rosemont: tirer parti des grands chantiers

Isabelle Delorme|Édition de la mi‑octobre 2021

Hôpital Maisonneuve-Rosemont: tirer parti des grands chantiers

Pierre J. Hamel, professeur à l’Institut national de recherche scientifique (Photo: Josée Lecompte)

INFRASTRUCTURES ET GRANDS PROJETS. La première pelletée de terre du projet d’agrandissement et de modernisation de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR), dans l’est de Montréal, est annoncée pour 2024. Coût estimé de l’opération : 2,5 milliards de dollars. Les Affaires s’est tourné vers des experts et des acteurs de terrain pour connaître quels enseignements tirer des grands chantiers hospitaliers récents, afin d’éviter de commettre les mêmes erreurs. 

 Coûts astronomiques, vices de construction, retard de livraison, fraude… Autant de problèmes qui ont régulièrement fait les manchettes des journaux à propos des projets de construction du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Dans les deux cas, les travaux ont été réalisés en partenariat public-privé (PPP). Or, cette alliance entre un État ou une collectivité locale avec des entreprises de construction privées n’est pas adaptée aux grands chantiers hospitaliers, avance Pierre J. Hamel, professeur à l’Institut national de recherche scientifique (INRS). «Je ne suis pas hostile aux PPP quels qu’ils soient, mais dans le cas des hôpitaux, cela me semble inapproprié», lance le spécialiste des finances publiques.

Il croit que la formule ajoute une dose de complexité dans des chantiers hospitaliers déjà compliqués. «À Montréal, le pire chantier récent à cet égard a été celui du CHUM, où il y a eu de gros problèmes, car les architectes, les ingénieurs et les ouvriers ne parlaient pas la même langue, estime celui pour qui la rénovation d’un hôpital de pointe demande une formule plus souple. La dynamique d’un PPP pose un problème d’adaptabilité pour ce type d’ouvrage complexe, susceptible d’évoluer pendant la longue période couverte par le partenariat. Or, le consortium a intérêt à s’en tenir aux dispositions du contrat initial et à limiter ses risques.»

D’ailleurs, d’après les informations que Les Affaires a obtenues auprès de la Société québécoise des infrastructures (SQI), qui gère le chantier de HMR, un mode traditionnel sera probablement plus avantageux que la formule du PPP pour le nouveau projet montréalais.

Cette dernière n’a pas non plus été retenue pour un projet de rénovation semblable à celui de HMR : l’actuel chantier du nouveau complexe hospitalier de Québec (NCH). «Notre client, le Centre hospitalier universitaire de Québec, souhaitait conserver la mainmise sur les détails de son hôpital», précise Robert Topping, directeur général du bureau de projet NCH à la SQI. Celui-ci rejoint le professeur Hamel sur la souplesse de la formule traditionnelle. «Dans un hôpital qui date d’il y a plusieurs années, on ne sait pas à l’avance ce qu’il y a dans les murs, estime Robert Topping. En PPP, ce type de configuration pourrait vite générer des surplus de coûts.»

 

Planifier avec soin

Pour Marie-Soleil Tremblay, professeure titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP), la phase de planification des grands chantiers d’infrastructure a parfois été trop rapide dans le passé, générant des frais non prévus une fois la construction lancée. «Il faut s’assurer que l’on a des contingences suffisantes, avance-t-elle. Aujourd’hui, lorsque je regarde les budgets des nouveaux projets, je remarque que l’on investit souvent davantage dans la planification.»  

Elle souligne aussi l’importance d’anticiper le risque d’augmentation des coûts, compte tenu de la surchauffe dans l’industrie de la construction. Selon les dernières données de Statistique Canada, les prix de la construction de bâtiments non résidentiels ont effectivement augmenté de 8,4 % à Montréal en un an. 

Il faudra également prendre en compte les coûts financiers et opérationnels liés aux relocalisations nécessaires pendant les travaux de rénovation de HMR, prévient Marie-Soleil Tremblay. Au NCH, une sorte de triumvirat entre les gestionnaires de projet et les équipes cliniques et techniques de l’hôpital a été mise sur pied pour gérer la rénovation au quotidien. «Nous devons manœuvrer un jeu de dominos complexe avec des espaces temporaires, sans oublier que l’hôpital doit continuer à fonctionner», rappelle Robert Topping, qui estime les frais de retard sur un chantier comme celui du NCH à 2 millions de dollars par mois. 

Avec la création de 176 lits supplémentaires pour atteindre un total de 720 lits, le projet de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont voit grand. Cela amène l’économiste de la santé Yanick Labrie à s’interroger sur le besoin de développer ce méga-hôpital, et plus généralement sur «l’hospitalo-centrisme», consistant à donner une place centrale aux hôpitaux dans le système de santé. « À mon sens, c’est un modèle dépassé, qui va à contre-courant de la tendance internationale», estime celui qui voit s’ouvrir de plus en plus de petites cliniques spécialisées, en Europe notamment. «Elles permettent d’éviter certains déplacements à l’hôpital et de mieux utiliser nos ressources, avance celui qui préconise de pousser l’ensemble de la réflexion plus loin. Plus conviviales, ces cliniques entraînent une meilleure satisfaction de la patientèle, qui peut se faire soigner plus près de son domicile.»