L’intelligence économique au service du passage du Nord-Ouest dans l’Arctique canadien
Le courrier des lecteurs|Publié le 18 juillet 2024L’intelligence économique favoriserait l’innovation et la compétitivité, tout en assurant à la population leur participation dans le développement économique de leur région avec une préservation de leur culture et de leur identité. (Photo: 123RF)
Par Younès Dadoun, diplômé de la maîtrise en études politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke, spécialisé dans le domaine de l’intelligence économique
COURRIER DES LECTEURS. Nous avons vu dans un billet précédent que l’intelligence économique (IE) est une démarche stratégique visant à collecter, analyser et utiliser l’information pour prendre des décisions éclairées et compétitives. Cette démarche repose sur trois piliers principaux: la veille stratégique, la sécurité économique et l’influence. Dans ce texte, nous allons faire l’exercice de transposer le concept de l’IE avec ses trois piliers dans la région stratégique qu’est le passage du Nord-Ouest en Arctique.
Lire aussi – Le Canada et l’intelligence économique: une analyse de l’absence
Alors pourquoi s’intéresser à cette région spécifiquement? Le passage du Nord-Ouest canadien devient de plus en plus accessible en raison du réchauffement climatique. D’ailleurs, cette nouvelle route maritime réduit considérablement le temps et la distance de transport entre l’Asie et l’Europe offrant une alternative plus courte aux routes traditionnelles comme le canal de Panama et le canal de Suez. Le passage du Nord-Ouest canadien permettrait non seulement d’éviter de naviguer dans des zones qui connaissent la piraterie, mais aussi celles qui sont instables politiquement.
En plus d’être un point stratégique pour la navigation, cette région est aussi un territoire riche en hydrocarbures et minéraux qui offre des perspectives d’exploitation de plus en plus concrètes à mesure que les conditions climatiques évoluent et que les accès se développent. Pourtant, malgré ce potentiel immense, cette région est négligée en termes d’infrastructures de base et de développement économique par le gouvernement canadien.
Il est à noter que la transposition du concept de l’IE sur cette région renforcera stratégiquement la position du Canada aux niveaux international et économique. Alors comment la veille stratégique, premier pilier du concept de l’IE, pourrait s’appliquer? Tout d’abord, par la surveillance des activités géopolitiques, en suivant de près les actions des nations arctiques et des acteurs non étatiques pour anticiper les évolutions géopolitiques.
Lire aussi – Le Canada signe un «pacte de glace» avec la Finlande et les États-Unis
Ensuite, par la surveillance des nouvelles routes maritimes créées par la fonte des glaces, dans le but de sécuriser et d’optimiser les voies de transport. Au niveau climatique, la collecte et l’analyse des données environnementales seront essentielles pour assurer un suivi du changement climatique et trouver des moyens pour l’exportation des ressources naturelles.
Enfin, le suivi des avancées technologiques et des investissements dans la région permettra de s’assurer que le Canada reste à la pointe des innovations et des opportunités économiques émergentes.
Quant au deuxième pilier, la sécurité économique, son rôle se définit par la protection des intérêts économiques de la région. Comment? En assurant une exploitation légale et sécurisée des ressources naturelles (pétroles, gaz, minéraux). Le développement des infrastructures est également crucial ; il nécessite des investissements de base pour développer des routes, des ports en haute mer et des installations de télécommunications, particulièrement dans une région aussi vaste (4,4 millions de km carrés) et peu peuplée (environ 70 000 habitants, majoritairement inuits).
Un autre élément important est le soutien gouvernemental à la population locale, visant à améliorer ses conditions de vie et à développer les services essentiels. Sachant que cette région connaît des conditions climatiques difficiles et une immense étendue géographique, un partenariat public-privé pourrait s’avérer particulièrement bénéfique. Ces efforts combinés permettront de sécuriser les intérêts économiques nationaux tout en favorisant le développement durable de la région.
Le Canada peut s’inspirer de l’approche russe avec son passage du Nord-Est, situé dans la zone économique exclusive de la Russie, où on observe une accélération des investissements.
Un exemple marquant est le complexe industriel du géant russe de l’énergie, Novatek, qui a construit une usine de gaz naturel liquéfié dans la région désertique du Yamal, connu pour ses conditions climatiques difficiles.
Le succès de ce projet est en grande partie dû au soutien du gouvernement russe qui n’a pas hésité à investir dans des infrastructures cruciales, telles qu’un port pour méthaniers, un aéroport et une centrale électrique. En outre, la flotte de brise-glaces nucléaires du pays a joué un rôle essentiel en maintenant la route maritime du Nord dégagée pour les navires transportant le matériel de construction. La réussite du projet de Novatek est due non seulement aux investissements du gouvernement russe, mais aussi au partenariat public-privé avec la China National Petroleum Corporation (CNPC) et la compagnie française TotalEnergies.
En ce qui concerne le dernier pilier, celui de l’influence, il s’articule autour de la défense de la souveraineté territoriale et des intérêts canadiens dans les forums internationaux, tels que le Conseil de l’Arctique et l’ONU.
Le Canada devra également consolider ses alliances en collaborant étroitement avec les nations arctiques. L’utilisation d’une diplomatie économique serait un atout majeur pour attirer des investissements et favoriser des collaborations internationales visant à développer cette région.
Des campagnes de sensibilisation et de communication seront cruciales pour mettre en avant les opportunités et les avantages offerts par la région arctique. Il serait crucial de promouvoir le passage du Nord-Ouest comme une destination touristique unique, en valorisant sa beauté naturelle, sa faune exceptionnelle et sa culture locale.
En outre, des initiatives de coopération scientifique et technologique, en partenariat avec des universités et des instituts de recherches internationaux, peuvent positionner le passage du Nord-Ouest comme un centre de recherche de pointe sur l’Arctique. La mise en place de projets de surveillance climatique et de biodiversité renforcera encore l’influence canadienne dans cette région stratégique.
Pour terminer, transposer le concept de l’IE sur le passage du Nord-Ouest est pertinent, car il revêt une importance stratégique tant sur le plan géopolitique qu’économique. Riche en ressources naturelles et offrant un potentiel considérable pour le tourisme et la nouvelle route maritime commerciale, elle est au cœur de nombreux enjeux.
La veille stratégique permettrait de surveiller les activités et les innovations dans la région, tout en assurant une gestion durable des ressources. De surcroît, une veille juridique sur l’évolution du droit international et territorial pourrait s’avérer utile pour le Canada, lui offrant un cadre légal pour protéger ses intérêts et affirmer sa souveraineté sur cette région.
En matière de sécurité économique, il est crucial de protéger nos futurs investissements et de sécuriser la nouvelle route maritime commerciale.
L’influence du Canada sur la scène internationale doit également être renforcée en matière de politique publique pour le passage du Nord-Ouest.
Enfin, l’intelligence économique favoriserait l’innovation et la compétitivité, tout en assurant à la population leur participation dans le développement économique de leur région avec une préservation de leur culture et de leur identité.