Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Luc Sirois: «Il faut allumer les entrepreneurs»

Simon Lord|Édition de la mi‑Décembre 2022

Luc Sirois: «Il faut allumer les entrepreneurs»

Au-delà de l’argent, changer la culture des entreprises en organisant des conférences et en parlant d’innovation dans les médias, c’est la route à emprunter selon Luc Sirois. (Illustration: Camille Charbonneau)

INNOVATION. Encouragé par la qualité du soutien à l’innovation dans la province, l’innovateur en chef du Québec et directeur général du Conseil de l’innovation du Québec, Luc Sirois, est toutefois inquiet de voir le Québec traîner de la patte par rapport à ses pairs. Tour d’horizon.

 

Les Affaires: Dans le classement du Conference Board sur l’innovation de l’an dernier, le Québec obtenait un « C », comme la moyenne canadienne et l’Ontario. Reste, la province a perdu deux places et se retrouvait en 11e position, derrière certains pays comme le Japon, l’Allemagne, les États-Unis et plusieurs pays nordiques. Peut-on réellement se qualifier de leaders ? 

Luc Sirois: C’est ça, mon angoisse, ça m’alarme. C’est vrai qu’on innove moins et qu’on crée moins de startups qu’ailleurs. Et je trouve ça inacceptable.

 

L.A.: Quels sont les grands défis du Québec en matière d’innovation ? 

L.S.: Le premier grand défi est celui de la recherche. Oui, nous sommes la province où il se fait le plus de recherche universitaire. En revanche, la recherche ralentit, notamment au sein des entreprises : on voit que les montants qu’elles investissent en R-D sont en déclin. C’est un signe inquiétant. 

Le second défi est celui de la transformation numérique. On accuse un retard par rapport à d’autres provinces. Pourquoi a-t-on de la difficulté à cet égard-là ? Quand je pose la question aux propriétaires d’entreprises, ils me disent que c’est un problème de main-d’œuvre : les entreprises n’ont pas l’expertise pour le faire elles-mêmes.

Enfin, je dirais que la culture d’affaires du Québec est également liée à notre retard : les dirigeants et dirigeantes ont une certaine crainte du risque, on veut réussir ce qu’on entreprend à tout coup, on a moins le réflexe d’expérimenter.

 

L.A.: Vous mentionnez le manque d’expertise, mais il y a beaucoup de soutien à l’innovation pour les PME. Pourquoi n’y ont-elles pas recours davantage ? 

L.S.: L’écosystème de soutien reste méconnu. Et quand les entreprises commencent à se pencher sur les services offerts, elles sont un peu déroutées parce qu’il y a beaucoup d’offres. Comme on dit, parfois, trop, c’est comme pas assez. Elles ont de la difficulté à naviguer dans les ressources et organismes, et à comprendre les particularités de chacun des programmes de financement. C’est donc un autre défi. 

Cependant, dans ce cas-ci, on travaille sur une solution puisqu’on est en train de développer un répertoire qui permettra justement aux entreprises de trouver le programme et l’organisme qui conviennent le mieux à leurs besoins.

 

L.A.: En ce qui a trait aux autres défis, qu’est-ce qui est fait pour apporter des solutions ? 

L.S.: Avec sa nouvelle stratégie de recherche et d’investissement en innovation, qui comprend 1,3 milliard de dollars de nouveaux crédits budgétaires et 600 millions de dollars en interventions financières en capital d’investissement, Québec rend accessibles beaucoup de nouveaux soutiens financiers. Alors les dollars sont là. Mais est-ce que ce sera suffisant ? 

Il faut aussi faire changer la culture, allumer les entrepreneurs, et ça, ce ne sont pas les dollars qui vont le faire ; il faut organiser des conférences, parler d’innovation dans les médias, amener le sujet dans la formation aux dirigeants.

 

L.A.: Vous êtes actuellement en tournée à travers le Québec. Quels sont vos grands constats ?

L.S.: Dans l’ensemble, je vois beaucoup de positif. Je suis notamment encouragé de voir qu’il y a tant de leadership local, de vitalité économique régionale. Beaucoup d’entreprises s’impliquent, cherchent des solutions et partagent les leurs avec d’autres en faisant du coaching. C’est fascinant de voir que, malgré tout, on a de nombreuses entreprises qui ont saisi que l’innovation était la clé pour réussir.

 

L.A.: Avez-vous un exemple ? 

L. S.: Je pense à Meubles South Shore, entre autres, un fabricant de meubles fondé en 1940 basé à Sainte-Croix. Il évolue dans un secteur traditionnel qui a connu un déclin il y a quelques années, mais l’entreprise a réussi à adapter ses produits, à adopter de nouvelles technologies et de nouveaux procédés et à peaufiner son approche à la commercialisation. Et elle a du succès. 

Ce genre d’entreprises-là, il faut les donner en exemple. Il faut faire comprendre aux PME qu’il faut innover maintenant, investir avant qu’il ne soit trop tard, parce qu’on ne peut pas se virer sur un dix-cents. Il faut semer tout de suite pour être prêt lorsqu’on rencontrera un tournant économique tel que l’arrivée de nouveaux compétiteurs.

 

L.A.: Avez-vous espoir, dans un avenir proche, que l’on pourra rattraper les leaders mondiaux ?

L.S.: Rattraper ? C’est une course en avant, alors je pense qu’on ne pourra peut-être pas rattraper Israël et le Danemark, par exemple, pour tout de suite. Mais est-ce qu’on peut être dans le peloton de tête ? Ça oui, absolument. 

La recherche, au Québec, c’est une force phénoménale. La création d’Axelys, l’an dernier, la société de développement et de transfert de l’innovation issue de la recherche publique du Québec, nous aidera encore davantage. 

Je pense simplement que plusieurs dirigeants n’ont pas réalisé qu’ils s’assoyaient parfois sur leurs lauriers. Pourtant, quand ils saisissent qu’ils sont en retard, ils agissent rapidement. Il faut donc maintenant mettre la machine en marche sortir les données et leur faire comprendre l’importance d’innover.

Et ça, ça va mettre le feu aux poudres.