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IA: la traduction automatique comporte des risques insoupçonnés

Le courrier des lecteurs|Mis à jour le 13 juin 2024

IA: la traduction automatique comporte des risques insoupçonnés

(Photo: courtoisie)

Un texte de Betty Cohen, traductrice agréée, présidente de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec. Elle œuvre dans ce secteur d’activité depuis près de 40 ans.

 

COURRIER DES LECTEURS. Selon un sondage de l’Association d’études canadiennes et de l’Institut Métropolis publié le 26 février, 65% des Québécois disent utiliser des outils de traduction automatique grand public pour communiquer avec des collègues au travail.

En effet, s’ils sont très utiles et pratiques pour comprendre le contenu d’un document écrit dans une autre langue, échanger avec un locuteur étranger ou encore obtenir des sous-titres sur notre série préférée, ils comportent des risques dès lors que l’on traite de questions sensibles ou confidentielles ou que la précision et la nuance sont essentielles dans un texte.

Il faut en effet savoir que les versions grand public de Google Translate, Bing et autres DeepL sont exactement cela: grand public. Cela signifie que tout texte qui y est introduit tombe dans le domaine public et que, par conséquent, la confidentialité n’existe plus. Toutes les entreprises qui manient des données confidentielles devraient donc mettre en garde leur personnel et émettre des directives précises sur l’utilisation des moteurs de traduction automatique.

Précisons également que ces outils sont alimentés par des bases de données constituées à partir des textes publiés, mais aussi de ceux qui leur sont soumis pour traduction. Par conséquent, l’information non seulement tombe dans le domaine public, mais peut ressortir dans une traduction similaire demandée par quelqu’un d’autre. Les conditions d’utilisation de Google Translate, par exemple, stipulent ceci dans la rubrique concernant les droits de Google: « Modifier vos contenus et créer des œuvres dérivées basées sur ceux-ci, par exemple en modifiant leur format ou en les traduisant ».

La traduction automatique soulève par ailleurs des problèmes de qualité, tout simplement du fait de son fonctionnement. Arthur Mensch, cofondateur de Mistral IA, concurrent européen d’Open AI, a donné une explication très simple de ce fonctionnement dans une entrevue accordée au magazine français Le Point: «Les modèles de langue sont probabilistes par nature. À partir d’une phrase, ils vont assigner une probabilité au mot suivant. Prenons l’exemple de ce début de phrase: « Mon chat est… » Quel sera le mot suivant? Le modèle peut donner une probabilité de 0,3 à « blanc » et de 0,3 à « noir ». En réalité, il va y avoir une distribution sur tous les adjectifs possibles qui s’appliquent au chat.»

Ce même fonctionnement s’applique à la traduction, le système cherchant, dans l’autre langue, l’équivalent le plus probable dans le contexte. Cela donne souvent des résultats très impressionnants, mais peut mener à des erreurs parfois risibles, comme le fameux «Fabriqué en dinde» pour «Made in Turkey», parfois très graves comme celle de traduire income par «bénéfice» au lieu de produit, revenu ou chiffre d’affaires dans un communiqué de presse sur des résultats financiers. Le mot income peut en effet avoir les deux sens en anglais et l’erreur s’est produite réellement il y a quelques années. Inutile de dire que le cours de l’action a valsé!

L’utilisation de la traduction automatique doit donc être encadrée et limitée aux échanges généraux, et ce afin de protéger le public et d’assurer la confidentialité des données, notamment. Et toute traduction destinée à la diffusion ou la publication devrait être confiée à un service de traduction professionnel, pour plusieurs raisons:

1) ce service a investi dans la version avancée d’un outil de traduction automatique soigneusement sélectionné et plus performant;

2) il utilise par conséquent des serveurs sécurisés;

3) l’outil est alimenté à l’aide de traductions préalablement soumises à un contrôle qualité et d’un glossaire précis et adapté;

4) enfin la sortie machine est dûment relue et corrigée par un professionnel humain qui connaît les besoins et la sensibilité du demandeur et peut donc apporter les nuances qui s’imposent.

Cela dit, le sondage de l’AEC met en évidence l’intérêt des gens pour la traduction automatique dans leur quotidien, mais aussi leur prudence dès qu’ils sont en terrain sensible, comme en juridique par exemple, ce qui est une bonne nouvelle. Comme nous le disons souvent aux têtes dirigeantes du milieu des affaires et de la classe politique, il ne faut jamais laisser une mauvaise traduction avoir le dernier mot.

 

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