Pourquoi le changement climatique menace les investisseurs
François Normand|Édition de la mi‑octobre 2019(Photo: 123RF)
INVESTIR POUR CHANGER LE MONDE. Après la Banque d’Angleterre en 2015, c’est maintenant au tour de la Banque du Canada (BdC) de mettre en garde les institutions financières et les investisseurs contre les risques énormes que représentent les changements climatiques sur leurs activités.
Pour la première fois de son histoire, la BdC a fait part à la mi-mai de son inquiétude croissante à propos de l’impact des changements climatiques sur l’économie et le système financier au Canada, sans parler des investisseurs.
«Les changements climatiques continuent d’être une source de risques pour l’économie et le système financier, en raison à la fois des risques physiques découlant des phénomènes météorologiques extrêmes et des risques liés à la transition vers une économie mondiale sobre en carbone», écrit l’institution dans sa Revue du système financier – 2019.
L’institution y souligne que les coûts des changements climatiques pour l’économie canadienne ont explosé depuis une quarantaine d’années en raison des catastrophes naturelles (les données proviennent du Bureau d’assurance du Canada).
– Entre 1983 et 1992, les dommages assurés (biens et infrastructures) se sont chiffrés en moyenne à 200 millions de dollars par année.
– Entre 2008 à 2017, les dommages assurés se sont élevés en moyenne à 1,7 milliard de dollars par année.
La transition vers une économie sobre en carbone a commencé au Canada et ailleurs dans le monde, note la BdC. Une transition qui se traduit par une «préférence de plus en plus marquée» pour les sources d’énergie et les procédés de production qui émettent moins de gaz à effet de serre (GES).
Dans ce contexte, la BdC estime que les coûts de cette transition seront particulièrement élevés dans les secteurs qui produisent beaucoup de GES, notamment les industries pétrolière et gazière.
Le risque d’avoir des actifs échoués
«Si certaines réserves de combustibles fossiles demeurent inexploitées, les actifs de ce secteur pourraient se transformer en actifs échoués, perdant ainsi une bonne partie de leur valeur.»
Un actif échoué (ou stranded asset, en anglais) est un actif qui perd de la valeur en raison de l’évolution des lois, des contraintes environnementales ou des technologies. Par exemple, dans le domaine des télécommunications, l’apparition des réseaux de téléphonie mobile a dévalorisé les investissements réalisés dans les lignes fixes. Pour leur part, les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) courent le risque de devenir des actifs échoués, car la décarbonisation de l’économie est une tendance lourde qui est là pour durer.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, le Canadien Mark Carney, a soulevé cet enjeu en 2015, lors d’un discours prononcé à Londres devant un parterre d’assureurs auquel le Financial Times a fait écho. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada a déclaré que la lutte aux changements climatiques risque de marginaliser les énergies fossiles et d’entraîner des pertes «potentielles énormes» pour les investisseurs exposés à ce secteur. Ce discours a créé une onde de choc mondiale dans les secteurs de la finance et des énergies fossiles, car il émanait non pas de scientifiques ou d’environnementalistes, mais de l’un des plus importants banquiers centraux de la planète.
Plusieurs personnes ont dénoncé M. Carney, dont le président de la firme Lambert Energy Advisory, Philip Lambert, se demandant comment on pouvait ainsi parler de la marginalisation des énergies fossiles alors qu’elles représentent encore la majorité de la demande, selon l’Agence internationale de l’énergie.
D’autres observateurs ont par contre salué le discours du gouverneur de la Banque d’Angleterre. Par exemple, la cheffe de la direction de l’Institutional Investors Group on Climate Change, Stephanie Pfeifer, estime qu’il a fait réaliser aux investisseurs l’importance de bien évaluer le risque climatique sur leurs actifs. Selon la Banque du Canada, les gestionnaires d’actifs détiennent d’ailleurs des actifs «à forte intensité carbonique» au Canada et à l’étranger.
Plusieurs investisseurs institutionnels sont conscients des risques. En février, lors de la présentation des résultats financiers de la Caisse de dépôt et placement du Québec, son PDG Michael Sabia a reconnu que le risque lié aux investissements dans les sociétés pétrolières est de plus en plus grand. «Légèrement, tranquillement et, année, par année, par année, nous allons continuer à réduire notre exposition aux sociétés pétrolières, a-t-il déclaré sur les ondes de RDI Économie. Pas juste au Canada, mais mondialement, pour réaliser un objectif très important qui est le suivant : une réduction d’ici 2025 de 25 % de l’intensité de notre empreinte carbone.»