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Investir dans les crédits carbone

Morningstar|Publié le 25 mai 2022

Investir dans les crédits carbone

Même si les investissements dans les crédits carbone sont attrayants, des doutes planent encore sur son caractère ESG. (Photo: 123RF)

INVESTISSEMENT DURABLEVous avez peut-être déjà constaté, en réservant un vol ou en regardant attentivement votre reçu à l’épicerie, que vos émissions de carbones ont été compensées. Satisfaisant, n’est-ce pas? Les investisseurs qui souhaitent éprouver ce contentement peuvent également se tourner vers les FNB de crédit carbone. Cependant, avant d’aller de l’avant, il vaut mieux s’informer adéquatement sur le sujet.

 

Les crédits carbone, qu’est-ce que c’est?

En quelques mots, un crédit carbone est une unité de mesure utilisée pour faciliter les transactions qui visent à réduire les répercussions des activités humaines sur le climat. Dans le monde des affaires, il est utilisé pour déterminer une limite aux entreprises et aux secteurs polluants afin que ces derniers restreignent leur production de CO2 dans l’atmosphère.

«Avec le temps, ce crédit baisse peu à peu puisqu’on s’attend à ce que les entreprises réduisent de plus en plus leurs émissions», explique Clark Barr, directeur des méthodologies de solutions climatiques à Sustainalytics, une filiale de Morningstar.

En d’autres mots, si une société pollue davantage que ce à quoi elle est autorisée, elle doit acheter des crédits carbone supplémentaires. À l’inverse, si elle pollue moins, elle peut vendre ses crédits excédentaires. Il s’agit d’un système cap and trade (plafonnement et échange).

Une politique de tarification du carbone vise à inciter les émetteurs à réduire leur production de gaz à effet de serre (GES), dit Guru Durairaj, CFA et VP adjoint, Ressources naturelles et oléoducs, à DBRS Morningstar. «Le système crée également un potentiel économique à l’instauration de nouveaux projets qui permettront la réduction ou la suppression de GES», ajoute-t-il.

Les marchés volontaires du carbone utilisent pour leur part les compensations carbone, qui sont différentes des crédits carbone, note Luke Oliver, chef des investissements climatiques à KraneShares. «Les compensations carbone aident les sociétés à contrebalancer leurs émissions par des projets comme la plantation d’arbres ou la construction de parcs éoliens ou solaires, alors que les crédits carbone offrent plus transparence et un mécanisme universel d’approvisionnement et de tarification, dit-il. «Essentiellement, ça permet d’attirer l’attention du capitalisme sur la question des changements climatiques.»

Parmi les plus gros marchés secondaires de crédits carbone, on retrouve ceux qui s’inscrivent dans le système européen SCEQE (système communautaire d’échange de quotas d’émission) et le système californien Cap and Trade.

 

Un investissement dans les crédits carbone, comment ça fonctionne?

Les investisseurs peuvent obtenir une participation dans les crédits carbone en achetant des FNB, tels que KraneShares Global Carbon Strategy ETF (KRBN), un actif sous gestion d’une valeur approximative de 1,4 milliard de dollars américains (G$ US) qui a été lancé en 2020. De nombreux autres FNB et fonds communs de crédit carbone sont depuis apparus sur les marchés à l’échelle internationale, dont tout récemment en Chine. 

«Les investisseurs sont de plus en plus sensibilisés à la question, suivi d’un désir des entreprises financières de répondre à cette nouvelle demande», soutient Nick Piquard, gestionnaire de portefeuille et stratège d’options à FNB Horizons.

FNB Horizons a d’ailleurs été pionnier dans le domaine avec son FNB Horizons Carbon Credits (CARB), qui offre une participation exclusive au système européen par l’utilisation de contrats à terme sur les droits d’émission.

KraneShares offre également une participation ciblée aux FNB cotés en Bourse aux États-Unis qui sont spécialisés dans les contrats à terme sur les crédits carbone de l’Union européenne (KEUA) et de la Californie (KCCA).

«L’année dernière, la valeur des transactions de contrats à terme sur ces marchés s’est élevée à 683 G$ US — une croissance de plus de 100% vis-à-vis l’année précédente», souligne Luke Oliver.

 

Pas des placements ESG

Même si les investissements dans les crédits carbone sont attrayants, des doutes planent encore sur son caractère ESG. 

Donner un prix au carbone est extrêmement important, mais «je ne pense pas que ce soit un investissement ESG», note Bobby Blue, analyste principal, recherche sur les gestionnaires multiactifs ou alternatifs à Morningstar.

Dans les faits, l’efficacité du système n’est pas toujours parfaite. Selon la documentation du CFA Institute sur l’investissement ESG, «si le plan est trop restrictif, il peut encourager la délocalisation des industries vers des réglementations moins contraignantes — phénomène appelé «fuite de carbone» — et ne pas réduire ses émissions. 

Une autre situation défavorable surgit lorsque les gouvernements distribuent trop de crédits carbone et que le prix est trop bas pour inciter à une décarbonisation des industries.

«L’approche de l’Union européenne s’est traduite par un prix du carbone extrêmement bas pendant une période s’étalant de 2012 à 2018, durant laquelle les entreprises ont reçu de nombreux crédits carbone à faible coût, explique Clark Barr. Cependant, les choses ont commencé à changer et depuis 2018, le prix n’a pas cessé d’augmenter alors que la distribution de crédit s’est faite plus rare. Les options d’atténuation offertes aux entreprises sont plus dispendieuses.»

«Les politiques climatiques deviennent plus rigoureuses et les pays du monde entier adoptent des mesures pour réduire les émissions», souligne Adriana Alvarado, VP principale, cotes souveraines mondiales à DBRS Morningstar et coautrice d’une lettre d’opinion sur la tarification du carbone en Europe.

«La tarification du carbone a le potentiel d’accroître la pression financière sur les entreprises réglementées par des coûts plus élevés», peut-on entre autres lire dans la lettre. Certaines sociétés sont donc plus enclines à réussir que d’autres.

 

Le rôle des crédits carbone dans un portefeuille

«Ils peuvent présenter les avantages que procure une certaine diversification d’un portefeuille largement constitué», soutient Bobby Blue. 

Toutefois, quand il s’agit de définir exactement comment se comporte le carbone, on se trouve encore en terre inconnue. « C’est difficile à justifier comme investissement à part entière. Les crédits carbone sont un créneau très précis qui nécessite une compréhension assez approfondie du marché et des forces auxquelles ils sont soumis, poursuit l’analyste principal, recherche sur les gestionnaires multiactifs ou alternatifs à Morningstar. Il faut donc être opportuniste sur le rééquilibrage. Si on a une augmentation de 40% en deux moins, il faut agir rapidement et prendre des mesures tout de suite.»

 

Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

«Une récession pourrait un effet sur la demande de carburants fossiles, et donc sur le prix des crédits carbone, dit Nick Piquard. 

«Les flux des investissements de particuliers sont capricieux. Si les performances baissent et si les investisseurs ne comprennent pas pourquoi, ils vont se désengager», estime Bobby Blue.

 Nick Picard remarque malgré tout que les crédits carbone sont uniques dans la mesure où leur offre est déterminée par un organisme de réglementation. Ce qui peut certainement détenir un risque politique.

«S’il semble bon aux gouvernements de rendre soudainement disponibles de nombreux crédits carbone, leur prix va vraisemblablement diminuer, note-t-il. Avec un organisme international qui comporte plusieurs pays comme le SCEQE, qui a bien défini sa vision de baisser de 55% ses émissions d’ici 2030, et si l’économie croît avec le temps, je ne pense pas qu’un changement aussi radical aurait lieu.»

 Pour Bobby Blue et Luke Oliver, la politique représente le plus gros risque pour les marchés du carbone. «La hausse du prix du carbone pourrait subir les pressions des industries ou des consommateurs qui subissent des coûts élevés», dit le chef des investissements climatiques à KraneShares.