À l’ère de l’intelligence artificielle, de la robotique et de l’innovation dans les énergies renouvelables, les carburants fossiles qui étaient le moteur de l’énergie mondiale depuis la Révolution industrielle semblaient être passés de mode. La pandémie n’a fait qu’amplifier ces tendances. (Photo: 123RF)
Il y a quelques années, il était de bon ton de dire que «les données sont le nouveau pétrole». À l’ère de l’intelligence artificielle, de la robotique et de l’innovation dans les énergies renouvelables, les carburants fossiles qui étaient le moteur de l’énergie mondiale depuis la Révolution industrielle semblaient être passés de mode. La pandémie n’a fait qu’amplifier ces tendances.
Si on remet le curseur sur le début de 2022, le nouveau pétrole, c’est le pétrole. Même avant que la guerre imposée à l’Ukraine par la Russie ait mis les marchés des matières premières sens dessus dessous, le prix du pétrole brut avait grimpé aux niveaux de 2014, attisant une inflation qui était à son niveau le plus élevé en une génération. Le secteur énergétique a imprimé sa cadence aux marchés boursiers mondiaux. Chez nous, à Morningstar, notre équipe de recherche sur les actions pense que le prix du pétrole devrait rester élevé jusqu’à la fin de 2023.
Pour ce qui est des marchés boursiers, les chars russes déferlant sur l’Ukraine ont pris le pas sur les Teslas naviguant sur des autoroutes jalonnées d’éoliennes. Le leadership s’est déplacé, passant des innovateurs technos à ce que l’on avait pris l’habitude de dénigrer comme «la vieille économie». Des 11 indices d’actions des secteurs mondiaux de Morningstar, l’énergie est celui qui s’est le mieux comporté pour l’année qui s’est terminée à la fin du premier trimestre de 2022.
Bien qu’il soit parfaitement possible que la crise actuelle accélère la transition vers une économie à faible teneur de carbone, l’histoire donne des raisons d’être pessimiste. Selon un article d’opinion dans le New York Times, «après les crises énergétiques mondiales précédentes (1973, 1979, 1990 et 2008), les tensions se sont calmées, les prix ont chuté, les gens ont oublié et les gouvernements se sont tournés vers d’autres priorités. Et la dépendance mondiale au pétrole et au gaz n’a cessé d’augmenter.»
Il n’y a tout simplement pas qu’une seule réponse à la crise énergétique
L’investissement durable a subi beaucoup de critiques depuis le début de la guerre. Des accusations d’«écoblanchiment» ont été portées contre les placements durables qui possédaient des actifs russes. Pomper du pétrole et défendre l’Ukraine semblent plus urgents que se soucier du changement climatique et de la prolifération de l’armement. Par ailleurs, la hausse du prix du pétrole pose des problèmes de performance pour les portefeuilles insuffisamment pondérés de carburants fossiles.
La critique ignore la diversité inhérente à la politique ESG. Selon Jon Hale, directeur de la recherche sur la durabilité à Morningstar, «les critiques semblent penser que l’investissement durable est dogmatique, monolithique et non différencié. Ils ne comprennent pas que l’investissement durable est une auberge espagnole qui accommode tout un éventail de préoccupations et de préférences des investisseurs.»
Pour accommoder cet éventail, nous avons utilisé six indices ESG de Morningstar susceptibles d’illuminer les diverses préoccupations et préférences exprimées. Nous en avons tiré trois enseignements.
Le premier, c’est que plusieurs approches ESG ne s’excluent pas mutuellement. Des placements durables peuvent à la fois faire appel à des filtrages fondés sur des critères d’exclusion et à une sélection positive axée sur l’atténuation du risque et l’opportunité.
Le deuxième, c’est que les résultats varient en matière ESG. Le désinvestissement et l’engagement actif, pour prendre deux exemples, sont de toute évidence des propositions très différentes.
Le troisième, c’est que plus un placement durable dévie d’un portefeuille boursier, plus sa performance sera différente de ce dernier. Une stratégie comportant quelques exclusions ou qui garde ses pondérations régionales et sectorielles proches de l’ensemble du marché se comportera plus comme l’équivalent d’un produit non-ESG que comme un homologue au ciblage plus étroit. Dans le premier cas, il pourra s’agir davantage d’un avoir de base, et dans le second d’un satellite.
Voici nos constatations, sous une forme plus détaillée.
Premièrement: exclure les carburants fossiles d’un portefeuille – Les conséquences ne sont pas dramatiques.
Le filtrage fondé sur des critères d’exclusion est la plus ancienne forme d’investissement durable, qui date de l’époque où «socialement responsable» et «éthique» étaient les termes qui définissaient habituellement les stratégies concernées. Aligner les placements sur des valeurs est une motivation essentielle. Mais les considérations financières importent aussi. Combattre le changement climatique demande que certaines réserves de carburants fossiles deviennent des «actifs irrécupérables».
On peut examiner l’Indice Morningstar Global ex-combustibles fossiles pour mieux comprendre les conséquences d’une stratégie d’exclusion. En fait, le secteur énergétique a chuté, passant de plus de 11% de la valeur boursière du marché mondial en 2011 à seulement 3,5% à la fin de 2021. Pour cette raison, l’indice ne s’est pas écarté beaucoup de l’ensemble du marché ces dernières années. Bien sûr, tout écart par rapport à la participation boursière cause une divergence, qui sera inévitablement positive sous certaines conditions boursières et négatives sous d’autres. Dans le sillage de la crise ukrainienne, l’équipe de recherche sur les actions de Morningstar a corrigé ses prévisions à court terme du prix du pétrole brut Brent pour les fixer à environ 100$ le baril jusqu’à la fin de 2023. Un prix du pétrole plus élevé veut dire plus de profits pour les sociétés énergétiques, ce qui fait augmenter la juste valeur de leurs actions. La question que les investisseurs doivent poser est: qu’est-ce qui est déjà intégré dans les cours boursiers?
Le débat portant sur le désinvestissement, l’impact, l’engagement et le dessein va se poursuivre au fur et à mesure que les investisseurs pèseront le pour et le contre. Se désinvestir des carburants liquides dans un portefeuille ne semble pas dramatique.
Deuxièmement: l’atténuation du risque ESG – Efficace ces dernières années, mais un surclassement n’est pas garanti.
Pour de nombreux investisseurs, les questions ESG comportent des risques financiers certains. L’impact environnemental, les relations avec le monde du travail, la sûreté des produits et l’éthique professionnelle sont des questions qui peuvent impacter les résultats d’une firme. De nos jours, le monde des affaires est sans aucune doute confronté à des attentes plus élevées pour servir tout un ensemble de parties prenantes.
On peut examiner l’Indice Morningstar Global Markets Durabilité pour mieux comprendre la nature d’une stratégie d’atténuation des risques. Cet indice d’actions est aligné sur la Cote de durabilité de Morningstar pour les fonds. Les secteurs de l’énergie et des matériaux sont tous deux sous-pondérés de façon systémique dans l’indice de durabilité. Non seulement les entreprises évoluant dans le secteur de l’extraction produisent des émissions, des effluences et des déchets, elles sont aussi confrontées à des difficultés liées à la santé et la sécurité, les relations communautaires et l’éthique professionnelle, selon Sustainalytics.
Comment s’est soldée l’atténuation des risques ESG pour l’Indice Morningstar Global Markets Durabilité? Pas mal ces cinq dernières années. Sous-pondérer le secteur énergétique a contribué à son surclassement, mais surpondérer les actions technologiques y a contribué encore davantage.
Troisièmement: chercher les opportunités ESG – La valorisation peut être un souci.
Pour certains investisseurs, les principes ESG sont un indicateur de placement. Une société peut utiliser la durabilité pour établir ou améliorer un avantage concurrentiel. Ces sociétés-là peuvent oui ou non faire partie d’un secteur directement lié aux principes ESG. Mais ce que ça veut dire, c’est qu’un profil ESG solide est un attribut désirable pour une société, et que les investisseurs peuvent pratiquer une «sélection ESG positive» pour le cibler.
On peut examiner l’Indice Morningstar Global Markets Leaders en matière de développement durable pour mieux comprendre la nature des stratégies d’investissement qui cherchent des occasions dans les placements ESG. Avec moins de contraintes aux niveaux sectoriel et régional, l’indice a surclassé le marché d’une marge plus grande que l’indice mondial de durabilité Morningstar ces cinq dernières années. Cela dit, il s’est terriblement sous-classé au premier trimestre de 2022. Une totale absence de participation à l’explosion du secteur énergétique a nui aux rendements, de même qu’un crash des actions technologiques. Que l’absence de participation à l’énergie s’avère positive ou négative à long terme est une question qui subsiste.
La valorisation est une vraie préoccupation pour une stratégie qui cherche des occasions dans les placements ESG. David Meats, directeur de la recherche sur les actions de l’énergie et des services publics à Morningstar, parle du cycle de peur et de cupidité qui dicte la performance du secteur énergétique: «le marché fait preuve d’une certaine myopie avec les prix pétroliers ; lorsque les prix augmentent, il présume habituellement qu’ils vont rester à un niveau élevé, lorsque les prix baissent, sa réaction est la même.» Cela implique que les investisseurs devraient prêter foi à la maxime de Warren Buffett: «Être cupide quand d’autres ont peur, et avoir peur quand d’autres sont cupides.»
Pendant des années, le marché a surenchéri sur les actions qui comportaient un faible niveau de risque. En novembre 2021, le directeur de la recherche à Morningstar Haywood Kelly a écrit: «Les investisseurs paient trop pour les bonnes sociétés ESG et pas assez pour les mauvaises».
Quatrièmement: la détention active – Les indices peuvent faciliter l’engagement.
Les actionnaires de sociétés publiques peuvent influencer le comportement de ces dernières par un dialogue avec la direction et le conseil d’administration, par le vote par procuration, le dépôt de motions et même le plaidoyer en faveur de politiques publiques qui confrontent les problèmes de la durabilité. Les indices ne possèdent pas de titres, mais les gestionnaires de fonds passifs affectent des actifs aux titres qui constituent l’indice lorsqu’ils le reproduisent. On peut donc utiliser les indices comme des outils qui facilitent la gestion active à l’intention des investisseurs ESG.
On peut examiner l’Indice Morningstar Global Markets Référence de l’UE sur la transition climatique ou l’Indice Morningstar Global Markets Paris Aligned pour avoir plus d’informations sur la gestion active. Les indices climatiques permettent aux investisseurs de mettre en application leurs vues sur l’atténuation du risque climatique et les opportunités liées au climat, tout en centrant les investissements sur des activités durables. Les indices accordent une pondération plus faible que celle du marché à des entreprises comme Shell, dont l’adhésion aux émissions nettes zéro a été mise en doute, et Volkswagen, dont la production de véhicules électriques est bien au-dessous de celle de ses pairs. Une pondération supérieure à la moyenne est accordée à une société comme Whirlpool, qui fait de grands pas pour minimiser son empreinte carbone, et Kone, qui fabrique des ascenseurs et monte-charges énergétiquement efficients.
L’expérience d’Exxon et de l’investisseur activiste Engine No. 1 donne à espérer que les actionnaires pourront réaliser le changement de l’intérieur, au sein même des grandes compagnies pétrolières.
Les nouveaux membres du conseil d’administration essaient de faire progresser un ordre du jour axé sur le climat. Certains pensent que les sociétés de carburants fossiles peuvent exercer un leadership dans les énergies renouvelables, du fait de leurs vastes ressources et de leurs compétences. D’aucuns seront surpris de voir qu’Exxon a été à la pointe de l’innovation dans le domaine des éoliennes au cours des années 1970. Le potentiel est là, mais leur contribution à la transition vers un monde à faible teneur de carbone reste à prouver.
Cinquièmement: les investissements ESG thématiques – Investir dans les énergies renouvelables peut être volatil et comporter une certaine intensité carbonique.
Selon les données de Morningstar, la part des investissements thématiques sur le marché a triplé lors de la décennie qui s’est terminée en 2021, avec les énergies renouvelables considérées comme un facteur essentiel de la croissance à long terme. Les investisseurs dans les énergies propres pourraient être motivés par des critères de durabilité ou de purs objectifs financiers.
L’indice Morningstar Global Markets Énergie renouvelable souligne les actions des sociétés chefs de file de la transition vers une économie à faible teneur de carbone. Les investisseurs désireux de placer leur argent dans les solutions climatiques pour combattre le changement climatique pourraient être surpris par l’intensité carbonique de certaines sociétés impliquées dans les énergies renouvelables. En fait, l’indice mondial des énergies renouvelables Morningstar comporte deux fois plus d’intensité carbonique que le marché des actions dans son ensemble. Pourquoi? De nombreuses sociétés sont impliquées à la fois dans les carburants fossiles et dans les énergies renouvelables. De plus, les produits et services d’une société peuvent être respectueuses du climat, alors que leurs opérations sont caractérisées par l’intensité carbonique.
Du point de vue des placements, les investissements thématiques comme les énergies renouvelables peuvent être très volatils. Un portefeuille d’actions concentrées par industrie et secteur, dont beaucoup sont fortement corrélées, va connaître des fluctuations beaucoup plus grandes qu’un portefeuille diversifié. Sans surprise, l’écart-type des rendements de l’indice mondial des énergies renouvelables (mesure de volatilité) a dépassé celui du marché dans son ensemble.
Même les facteurs de la croissance à long terme peuvent connaître des revers. La société énergétique danoise Orsted, qui a été le chouchou fort performant des placements dans les énergies renouvelables et le fabricant d’éoliennes Vestas ont tous deux connu une importante chute du cours de leur action en 2021. Des vents faibles et un prix plus élevé des énergies renouvelables en ont été les causes.
L’avenir nous dira comment la crise énergétique actuelle, exacerbée par la guerre en Europe, change la donne. Va-t-elle saper la croissance du mouvement ESG ou l’accélérer? Va-t-elle favoriser une des approches actuelles de l’investissement durable par rapport aux autres? Pourrait-elle engendrer d’autres approches aux principes ESG? Pour le moment, le plus important, c’est de réaliser que l’investissement durable est très divers dans ses motivations et ses applications.