An-Lap Vo-Dignard: «Il faut considérer les engagements ESG»
Siham Lebiad|Édition de la mi‑septembre 2019An-Lap Vo-Dignard est gestionnaire de portefeuille, conseiller en placement et premier vice-président à Financière Banque Nationale. Il est aussi directeur du groupe Vo- Dignard Provost – Gestion de fortune. Il siège au CA du comité de placements – Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal, au CA de la Fondation Bruny Surin et au CA de la Fondation Papillon. (Photo: courtoisie)
INVESTISSEMENT RESPONSABLE. Entrevue avec An-Lap Vo-Dignard, gestionnaire de portefeuille, conseiller en placement et premier vice-président à Financière Banque Nationale. Il est aussi directeur du groupe Vo-Dignard Provost – Gestion de fortune. Il siège au CA du comité de placements – Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal, au CA de la Fondation Bruny Surin et au CA de la Fondation Papillon.
SIHAM LEBIAD – Quel est votre style d’investissement ?
AN-LAP VO-DIGNARD – Notre philosophie d’investissement, c’est surtout la protection du capital. Nos clients sont des gens qui sont déjà fortunés, donc le but est de protéger ce qu’ils ont bâti ou ce qu’ils veulent léguer aux prochaines générations. On donne aussi beaucoup d’importance à la diversification. Quand on parle de risques de récession, il faut avoir un portefeuille diversifié pour passer au travers, au cas où ces risques se matérialisent.
S.L. – Quelle est la spécificité de votre méthode de sélection d’investissement pour protéger le capital ?
A.-L. V.-D. – Nous essayons de rester humbles, nous n’avons pas de boule de cristal. Nous fonctionnons avec trois scénarios en appliquant des pourcentages de réalisation à chacun. Nous ne faisons pas de mouvements drastiques. Nous n’irons pas à 100 % dans un secteur ou dans un autre par crainte de récession, parce que, même si nos prévisions se révèlent justes, il pourrait s’écouler beaucoup de temps avant qu’elles se matérialisent, et entre temps, on perdrait du rendement.
S.L. – Que pensez-vous de l’état actuel de l’économie et des risques de récession ?
A.-L. V.-D. – Sur le plan de l’économie, en ce moment, les chiffres restent bons. Les ventes au détail vont bien, l’immobilier va bien et les consommateurs sont au rendez-vous. Ce qui est dangereux et qui cause des craintes, c’est d’abord la longévité du cycle. Un cycle normal dure en moyenne 68 mois, et nous sommes en période de croissance depuis maintenant 140 mois. Ensuite, la guerre entre les États-Unis et la Chine cause un ralentissement depuis quelques mois, dans les flux d’échanges commerciaux. Il y a aussi la courbe des taux, dont l’inversement a indiqué dans le passé une possibilité de récession, mais peut aussi être un faux signal. Notre position officielle, à la Banque Nationale, est que nous n’entrevoyons pas de récession, principalement parce que c’est une année d’élection aux États-Unis, dans laquelle l’administration américaine a besoin de résultats positifs, et la Chine ne veut pas de sortie massive de capitaux étrangers; les deux parties ont intérêt à arriver à un accord. Donc, on s’attend à ce que les deux pays arrivent à une entente dans les prochains mois, ce qui redonnerait un souffle à l’économie.
S.L. – Quelles mesures avez-vous prises récemment pour vous adapter aux fluctuations économiques ?
A.-L. V.-D. – On a quand même pris un virage pour faire attention aux risques de récession, puisque les conflits géopolitiques sont toujours imprévisibles. On a des entreprises qui ont de bons bilans, qui ne sont pas trop endettées, et avec lesquelles nous sommes confortables à long terme. Par exemple, dans les produits de consommation, comme Telus (T, 48,51 $) ou Metro (MRU, 57,17 $). S’il y a une récession, les gens continueront à faire l’épicerie de toute façon. L’entreprise ressentira moins l’impact. Telus aussi, qu’on aime beaucoup et qui donne un rendement de dividende autour de 5 %. Aussi, en cas de baisse de taux, les entreprises de télécommunications ont la possibilité de refinancer leur dette à des taux plus avantageux. Elles sont aussi moins présentes dans la câblodistribution, donc souffriront moins de la concurrence de Netflix ou de Disney, par exemple. Une autre entreprise très intéressante est Xylem (XYL, 78,07 $ US), un fournisseur mondial de technologies d’approvisionnement en eau engagée socialement. Elle donne 1 % de ses bénéfices à des causes sociales, et leurs employés consacrent une partie de leur temps à des causes comme l’augmentation de l’accessibilité à de l’eau potable dans le monde.
Le portefeuille géré par le groupe d’An- Lap Vo- Dignard rassemble des entreprises comme Metro. « S’il y a une récession, les gens continueront à faire l’épicerie. L’entreprise ressentira moins l’impact », rappelle M. Vo- Dignard. (Photo: Romeo Mocafico (
S.L. – Y a-t-il des entreprises ou des secteurs que vous évitez ?
A.-L. V.-D. – Nous gérons un fonds d’action dans lequel nous intégrons les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (principes ESG). Nous avons décidé de retirer toutes les énergies fossiles de ce fonds. De plus, il y a des titres qu’on évite dans notre but de préservation de capital, qui sont basés strictement sur la spéculation ou qui ne font pas encore de profits, mais dont les investisseurs espèrent une grande croissance future. Suivant cette stratégie, nous n’avons pas du tout touché au marché du cannabis récréatif ni à celui de la cryptomonnaie.
S.L. – Y a-t-il un titre qui vous a surpris cette année ? Si oui, lequel ?
A.-L. V.-D. – Un titre dans lequel on aurait aimé prendre une position, c’est Beyond Meat (BYND, 153,40 $ US). Au moment du lancement, le prix du titre était trop élevé par rapport à nos attentes. Cependant, nous avons été agréablement surpris, puisque c’est une entreprise qui s’aligne avec nos objectifs personnels et notre enthousiasme pour les investissements responsables. Cette entreprise prouve qu’on peut faire du bien et être un moteur de changement tout en étant performant. Pendant longtemps, investir dans des entreprises socialement responsables était synonyme de rendements faibles, puisqu’il fallait abandonner plusieurs entreprises dans des secteurs tels que les énergies fossiles ou l’armement. Maintenant, c’est l’inverse, les entreprises qui n’intègrent pas les principes ESG sont mal notées et produisent moins de rendement. Donc, pour les gestionnaires de portefeuille, ne pas prendre en considération les engagements ESG d’une entreprise est une erreur et pourrait leur coûter des rendements.