Investir dans les ressources à l’ère de la transition énergétique
Siham Lebiad|Publié le 24 septembre 2019Benoît Gervais. (Photo: Courtoisie)
INVESTISSEMENT RESPONSABLE. Placements Mackenzie se soucie de plus en plus de la qualité environnementale de ses investissements. L’entreprise a révisé son processus de sélection des investissements pour prendre en compte la «transition écologique» dans ses décisions. Benoit Gervais, Vice-président premier et gestionnaire de portefeuilles matières premières, en discute avec Les Affaires.
SIHAM LEBIAD – Vous avez publié dernièrement le rapport «L’ère de l’efficacité des ressources». Pour nos lecteurs qui n’en ont pas eu connaissance, pouvez-vous en résumer les grandes lignes?
BENOIT GERVAIS – Il s’adresse à tous nos clients, mais aussi à tous les Canadiens. Nous avons abordé plusieurs inquiétudes concernant l’énergie, combien de temps prendra la transition et ce que cela veut dire pour le citoyen moyen. Ce qu’on découvre, c’est que la plupart des gens acceptent la transition, mais à bas coût. Cette transition ne doit alors pas demander de sacrifice dans le domaine de la santé ou de l’éducation, ce qui serait un facteur décourageant pour la plupart des citoyens. Il faut donc trouver une façon d’avoir tous ces services essentiels en même temps qu’adopter des pratiques qui visent la diminution de gaz à effet de serre (GES), et ce, sans augmenter le taux d’imposition de la population.
La grande source d’inquiétude, c’est l’exposition aux producteurs de pétrole et gaz, tant pour les citoyens que pour les investisseurs. Rappelons que 25% à 30% des indices de ressources naturelles au Canada sont reliés à ces deux sources d’énergie. Pour le citoyen, le risque provient du fait d’être employé au sein de ces industries, mais aussi du fait de sa consommation. Pour l’investisseur, l’exposition au TSX 60 par exemple, peut être problématique [car il a une forte pondération dans le secteur de l’énergie].
S.L. Comment encouragez-vous vos investisseurs à aller vers des investissements plus verts?
B.G. – On essaye plutôt de trouver des propositions qui permettront à tous ceux qui sont concernés d’être du bon côté de la transition. Par exemple, les gens ne le savent pas, mais le ciment est responsable de presque 10% des GES dans le monde. Si on peut aller chercher 2% ou 3% de ces émissions en utilisant plutôt le bois d’œuvre, dans lequel le Canada est spécialiste, on peut arriver à une construction à moindre coût et à moins de GES. Donc, au-delà de la transition qui vise à avoir des énergies plus propres pour une société plus propre, il faut réaliser que c’est une industrie qui demande beaucoup de capital, et qui est extrêmement sensible aux réinvestissements. Il faut alors identifier des entreprises qui sont plus efficaces dans la gestion de leur capital pour avoir de meilleurs rendements, ce qui est deux fois plus important dans l’industrie des ressources en comparaison avec la moyenne des entreprises du S&P 500.
S.L. – Quelles sont les actions que vous prenez pour encourager cette transition dans le domaine de l’investissement?
B.G – On va favoriser des entreprises qui sont dans la bonne trajectoire. À prix égal, on favorisera plus une entreprise de gaz à naturel qu’une entreprise de charbon. Encore plus, nous faisons des projections pour distinguer les productions de charbon qui sont en diminution, puisqu’on s’attend à ce qu’elles soient affectées par un coût environnemental. D’un côté, ceci affecte le prix et par la même occasion les bénéfices et la façon dont ils sont déployés. D’un autre côté, il y a la croissance de l’entreprise et si, oui ou non, elle s’inscrit dans une industrie du futur. De ce fait, pendant les récentes années, on essaye de reconcentrer nos portefeuilles dans les entreprises de gaz naturel canadien, qui sont parmi les plus efficaces à travers le monde. Un exemple est Tourmaline (TOU, 13,50$), un chef de file canadien qui s’est établi au fil des années. On attribue alors une prime aux investissements dans les entreprises qui séquestrent les GES, et un escompte à celles qui en émettent.
S.L. – Combien de temps est nécessaire pour cette transition?
Il faudra au moins deux cycles économiques pour voir une baisse de la consommation, donc 15 à 20 ans. C’est le temps qu’il faudrait pour une société afin d’avoir la richesse ou la technologie pour mener à bien cette transition.
S.L. – Doit-on sacrifier les rendements pour participer à la transition écologique?
B.G.- Les deux deviendront indissociables. Je pense qu’il est en train de se former au sein de la société une tarification pour les pollueurs. Le consommateur est alors en train de se former une idée. Ceci donne un système économique, plutôt qu’un système de principes seulement, où, à travers l’offre et la demande, de choix conscients sont faits de la part des consommateurs et des investisseurs.
S.L. – Donnez-nous l’exemple d’une entreprise sur laquelle vous misez en ce moment?
B.G- On augmente nos positions dans le bois d’œuvre, par exemple West Fraser (WFT, 54,79$). Ce titre est attrayant pour plusieurs raisons. Premièrement, je pense que le prix du bois d’œuvre va être à la hausse dans les prochaines années. Deuxièmement, c’est une entreprise qui vend un produit qui séquestre les GES. Ce matériau sera plus utilisé avec la formation de nouvelles familles qui est en augmentation, et qui vont générer de nouvelles constructions de logement, et la société risque de reconnaître qu’il y a un bénéfice d’utiliser le bois d’œuvre au lieu du ciment.
S.L. – Quelles autres entreprises vous intéressent dans le cadre de cette transition?
B.G. – Au Canada, on est chanceux d’avoir Tourmaline ou ARC Resources, qui nous permettent d’avoir de la croissance, un peu de revenus, les meilleurs coûts dans l’industrie et le meilleur retour sur le capital. Le retour sur le capital est tellement élevé qu’il est difficile de voir comment on pourrait perdre sur deux cycles économiques.
West Rock (WRK, 36,42$US) est un autre exemple. C’est une entreprise spécialisée dans le papier et l’emballage, et qui a beaucoup de potentiel.