Catherine Légaré et Bibiana Pulido (Photos: Martin Flamand)
MENTORAT, PARRAINAGE ET COACHING. Mentorat, coaching et parrainage semblent être de plus en plus populaires, au point où l’on se demande s’il est possible de réussir sa carrière sans l’une – ou plusieurs – de ces formes d’accompagnement. Oui, rassurent les experts interrogés par Les Affaires, qui estiment toutefois qu’il serait très dommage de s’en priver.
L’accompagnement en développement de carrière a définitivement la cote : 79 % des milléniaux considèrent le mentorat important, selon un rapport Gallup publié en 2018. « Depuis leur plus jeune âge, ils se font guider et donner une rétroaction », fait remarquer Caroline Phaneuf, consultante senior chez Analys, un cabinet-conseil en développement organisationnel et de carrière.
Maintenant sur le marché de travail, ils continuent d’en rechercher les bénéfices. « Il a été démontré que le contact des gens plus expérimentés accélère le développement de quiconque dans sa carrière, entre autres parce que ça améliore la confiance en soi, détaille Catherine Légaré, derrière les plateformes de cybermentorat Élo et Academos. Des calculs ont aussi prouvé des rendements de l’investissement, des salaires plus élevés et une augmentation des chances d’obtenir une promotion pour les mentorés… En plus, ça les aide à mieux dormir la nuit ! (rires) »
Le mentorat peut également accélérer le mûrissement d’une idée entrepreneuriale. C’est ce qu’a vécu Bibiana Pulido, jumelée depuis l’automne à Catherine Légaré. « Dès notre première rencontre, elle m’a fait voir des options auxquelles je n’avais pas du tout pensé, raconte la cofondatrice du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Sans elle, j’aurais pu être en questionnement pendant des années ! » Au lieu de quoi, Mme Pulido a rapidement enregistré sa communauté de pratique et de formation en EDI comme organisme sans but lucratif. Elle remplit actuellement ses premières demandes de subventions.
Coup de pouce techno
Bien que le mentorat – le soutien donné par une personne plus expérimentée à une plus jeune afin de l’aider à progresser – soit pratiqué depuis des siècles, les programmes de jumelage formalisés ne datent que de quelques décennies, implantés au sein d’entreprises ou encore par l’intermédiaire d’associations professionnelles et d’organisations externes spécialisées.
La nouvelle génération de travailleurs souhaite aujourd’hui que des changements soient apportés à ces structures, car elle s’attend à recevoir plus rapidement le soutien demandé, de préférence dans un cadre flexible. « Certains programmes de mentorat ne fonctionnent plus parce qu’ils sont perçus comme trop rigides ou que le processus de jumelage semble trop long, explique Catherine Légaré, qui a déjà enseigné la conception et la coordination de programmes de mentorat à l’Université du Québec à Montréal. Les gestionnaires doivent en être conscients et se questionner sur la structure et le formalisme de leur programme. »
« Ils peuvent profiter des avantages des technologies – textos, courriels, applications, vidéoconférences, etc. – afin d’améliorer la flexibilité et la fluidité du processus de mentorat, suggère-t-elle. Le virtuel rend le lien plus continu entre les rencontres en personne, qui sont tout de même présentes. » Elle-même n’a rencontré Bibiana Pulido en personne qu’une seule fois, pour s’entendre sur les objectifs de leur relation. Depuis, elles communiquent virtuellement via la plateforme Élo. « La technologie nous aide beaucoup, reconnaît la mentorée. Malgré nos emplois du temps chargés, nous pouvons échanger chaque fois que j’ai besoin d’un avis. »
Le contact humain demeure un facteur très important dans la réussite du mentorat, estime cependant Pierre Duhamel, directeur général de la Fondation de l’entrepreneurship, qui gère le Réseau M, un regroupement de près de 60 organismes de développement économique offrant du mentorat à des entrepreneurs dans toute la province. « Chez Réseau M, nous n’avons pas d’application de discussion, parce que nous croyons que quand un entrepreneur est un peu découragé, il a besoin du dialogue le plus franc et le plus amical possible, ce qui demande d’être face à face. »
Que ce soit en ligne ou en personne, la réussite d’une relation de soutien repose avant tout sur la connexion entre les individus. « Je ne pense pas que mon mentorat aurait pu fonctionner avec n’importe quel entrepreneur, fait remarquer Bibiana Pulido. En plus d’avoir un parcours académique similaire, ça a cliqué entre nous sur le plan personnel. Ce match-là est essentiel. » Un constat qui s’applique également au coaching, cette forme d’accompagnement professionnel tarifée qui se penche davantage sur le savoir-faire.
L’autre grand apport de la technologie dans le domaine de l’accompagnement de carrière est organisationnel. En plus de faciliter la gestion des relations ou des programmes de mentorat, elle peut aider à mesurer les progrès accomplis grâce au coaching. « Dans notre application web UTrakk, chaque personne coachée a un passeport dans lequel sont inscrits ses points forts, les points à améliorer et ses résultats quand ils sont quantifiables, illustre Martin Vallée, vice-président opérations pour le Québec de Proaction International. Et les gestionnaires peuvent suivre en temps réel la progression des indicateurs comportementaux de tous ceux qu’ils dirigent. »
Une mince ligne
Les définitions des trois grandes formes d’accompagnement de carrière que sont le mentorat, le coaching et le parrainage – soit l’appui à l’intégration d’un employé ou à l’ascension d’un talent prometteur – varient selon les interlocuteurs. « Ce sont trois étiquettes qui servent à faciliter la réflexion sur le spectre des relations qui nous nourrissent pendant une carrière, mais il ne faudrait pas que ça devienne des béquilles pour les freiner », met en garde Caroline Phaneuf. « Pour que la relation soit un succès, l’important est que les deux parties soient bien claires quant à leurs rôles et leurs objectifs dès le départ, afin d’éviter les déceptions », renchérit Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.
« La ligne entre coaching et mentorat est très mince, même pour ceux qui en font depuis des années », reconnaît Daniel Beaulé, qui est à la fois accompagnateur stratégique et conseiller en gestion chez Altius Coaching et mentor au sein du Réseau M. « J’ai surtout besoin de faire la différence entre les deux quand je suis mentor, car quand je suis coach, je flirte d’un bord à l’autre. »
Pour éviter ces glissements, plusieurs spécialistes insistent sur l’importance des formations sur le fonctionnement du mentorat. « Selon une étude du professeur britannique David Clutterbuck, le taux de succès d’une relation mentorale est de 33 % sans aucune formation, de 65 % si seuls les mentors sont formés, et de 90 % si l’on forme les deux membres de la dyade », détaille Yvon Chouinard, président sortant de l’organisme Mentorat Québec, ainsi que chef de pratique chez Pauzé Coaching et président d’Isotope Conseil.
Cela dit, plusieurs relations complémentaires sont parfois nécessaires. « En période de transition, il est utile de se faire accompagner à la fois par un mentor, qui va nous guider dans notre réflexion, et par un coach, pour développer certaines habiletés spécifiques », estime M. Chouinard. Et il ne faut pas hésiter à changer de coach, ou même de mentor, selon l’évolution de ses besoins.
Bénéfique à tout âge
Au début des années 2000, l’Américain Jack Welch, alors PDG de General Electric, a lancé un projet pilote : jumeler de jeunes employés à des seniors afin que les premiers apprennent aux seconds à tirer parti des outils technologiques. Le mentorat inversé était né.
« Aujourd’hui, la définition est moins restrictive, estime Catherine Légaré. Certaines organisations utilisent le mentorat inversé pour travailler à de nouveaux processus de gestion qui plaisent davantage aux jeunes employés. » Selon Yvon Chouinard, cette pratique a un avantage supplémentaire pour les jeunes mentors : il les met en contact avec les plus hautes sphères décisionnelles. « Se rendre dans les bureaux des cadres supérieurs ouvre un nouvel horizon qui peut les tenter – ou pas. »
Même s’il est souvent associé aux plus jeunes, l’accompagnement professionnel peut s’avérer bénéfique à toutes les étapes d’une carrière, font remarquer les experts. L’Association des femmes en finances du Québec (AFFQ) propose ainsi du mentorat à ses membres débutantes, mais également à celles qui sont en ascension ou en transition. Amélie Martel, qui compte 18 ans d’expérience dans le domaine bancaire, s’y est justement inscrite alors qu’elle changeait à la fois d’employeur et de type de poste. « À mi-carrière, je sens que c’est un moment idéal pour un exercice d’introspection qui permet de se recentrer sur ses ambitions, déclare la conseillère de Planification financière et conseils CIBC. À cette étape, un professionnel a accompli beaucoup, mais il lui reste encore beaucoup à faire. »
Mme Martel rencontrera donc une dizaine de fois François Veillet, vice-président principal et gestionnaire de portefeuille privé chez Fiera Capital – l’un des rares mentors masculins du programme – pour discuter gestion, performance, conciliation travail-famille et habiletés politiques. « Son regard totalement indépendant de mon organisation amène des perspectives rafraîchissantes à mes réflexions », constate celle qui a participé à un programme de mentorat interne par le passé.
Dans quelques années, si elle le souhaite, Amélie Martel pourra également profiter d’une autre forme d’accompagnement. « Nous sommes en train de développer l’initiative Carrière 4.0 pour accompagner les femmes de plus de 45 ans qui sont en transition entre le monde corporatif et les conseils d’administration, explique la présidente de l’AFFQ, Françoise E. Lyon. Ce ne sera pas du mentorat ou du parrainage, plutôt des activités de discussion et de partage d’expérience en groupe. »