Stantec travaille à l’équipement du nouveau garage sous-terrain annoncé à la Station Côte Vertu pour héberger les nouvelles voitures de métro de la STM. [Photo : Stantec]
LE MOIS DU GÉNIE. Réseau express métroplitain (REM) à Montréal, projets de développement de réhabilitation de la STM, création d’un tramway à Québec, d’un système léger sur rail (LRT) à Ottawa… Les dernières annonces rendues publiques concernant le marché des transports pourraient avoir un bel impact sur le carnet de commandes des firmes de génie-conseil pour les trois à cinq prochaines années. Comment les acteurs du secteur se sont-ils positionnés pour percer ce marché juteux ?
Beaucoup de dynamisme sur le plan des infrastructures pour le transport des passagers, et une volonté forte de la part des utilisateurs de tendre vers une mobilité plus fluide. C’est le constat que dresse Macky Tall, chef des marchés liquides et président et chef de la direction à CDPQ Infra. Cette filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) gère un portefeuille d’infrastructures de 22,7 milliards de dollars et investit depuis près de 20 ans dans les infrastructures de transport. Par son nouveau projet emblématique, le Réseau express métropolitain (REM), CDPQ Infra s’apprête à miser près de 2,95 G$, aux côtés du gouvernement du Québec et du Canada – qui se sont chacun engagés à injecter 1,28 G$ – dans la création de ce train urbain de 67 km. D’après son chef d’orchestre, le REM devrait permettre la création de 34 000 emplois durant ses quatre années de construction. « Il s’agit du plus grand projet de transport en commun à Montréal depuis l’arrivée du métro, il y a 50 ans. » Si la CDPQ a commencé à plancher sur ce dossier il y a près de deux ans, la construction a démarré en avril dernier et devrait se poursuivre jusqu’à l’été 2021 pour la première tranche de livraison.
Pour Martin Thibault, vice-président aux transports de Stantec pour le Québec, les ordres municipaux, provinciaux et fédéraux démontrent une volonté d’investir massivement dans le transport collectif. « La vague des grands projets a débuté par le pont Champlain et le REM, et il y en a pour dix à quinze années d’ébullition dans ce marché. » Impliquée également dans le REM, sa firme est le leader du consortium ayant établi les critères de fabrication nécessaires aux nouvelles voitures de métro commandées par la STM et travaille à l’équipement du nouveau garage sous-terrain annoncé à la station Côte Vertu pour héberger les nouvelles voitures. « On oublie qu’il existe aussi des projets de longue haleine comme la rénovation des équipements fixes du métro de Montréal, amorcée en 2000, et qui emploie encore 125 personnes à temps plein », ajoute M. Thibault.
Pour Isabelle Adjahi, vice-présidente relations avec les investisseurs et communications d’entreprises de WSP, les occasions sont partout, y compris à l’extérieur de la province. « Il existe en ce moment de nombreux projets comme le LRT d’Ottawa, ainsi que plusieurs projets en Ontario ».
Des appels d’offres internationaux
Depuis plusieurs mois, les cabinets de génie-conseil ont commencé à répondre aux différents appels d’offres. Avec, dans le cas du REM, un processus réparti en deux phases et où CDPQ Infra demeure responsable à la fois de la planification, de la construction et de l’exploitation aux côtés des partenaires retenus. « Nous avons lancé un premier appel d’offres pour l’ingénierie, l’approvisionnement et la construction, et un second pour le matériel roulant, qui comprend le système de contrôle et l’exploitation sur 30 ans », précise M. Tall. Après avoir reçu deux candidatures pour le premier volet et trois pour le second, la Caisse a annoncé, en février 2018, avoir arrêté son choix sur le consortium mené par SNC-Lavalin (Groupe NouvLR) pour le premier appel de projets, et sur le groupement dirigé par Alstom (Groupe des Partenaires pour la Mobilité des Montréalais – PMM) pour celui du matériel roulant. Plus d’une année aura été nécessaire afin que le comité d’évaluation indépendant bâti par la CDPQ évalue les dossiers, tout en étant appuyée par les deux firmes de génie-conseil Cima et Hatch Mott MacDonald (HMM).
Mais la CDPQ n’est pas la seule à donner de l’ouvrage aux firmes québécoises, puisque la STM a elle aussi planifié une série de grands travaux à venir. Électrification de son réseau de bus, construction de nouveaux garages, prolongement de la ligne bleue, ou encore mise en accessibilité de ses stations… « Nous avons déjà investi près de 4,5 G$ dans des projets de développement et de maintien d’actifs, incluant les remplacements de bus et de métro au cours de la dernière décennie. Dans les 10 années à venir, ce budget sera trois fois supérieur, soit au-dessus de 15 G$ », rapporte François Chamberland, directeur exécutif, Ingénierie, infrastructures et projets majeurs de la STM. Si certains contrats ont déjà été attribués, d’autres, comme le prolongement de la ligne bleue, ne le sont pas encore.
Un nouveau rôle pour les ingénieurs-conseils ?
La tâche n’est pas simple non plus pour les firmes, qui doivent anticiper sans en avoir toujours les moyens. Pour Nicolas Lemire, président du cabinet Pageau Morel « choisir de se positionner ou non sur un projet peut même devenir une question stratégique pour les firmes, car ce sont parfois des investissements que l’on ne reverra jamais si l’on ne fait pas partie du consortium sélectionné », met-il en garde. « Tant qu’on ne connaît pas la description et l’envergure exactes des projets, il peut être complexe de réaliser des recrutements et de se préparer », ajoute M. Thibault, de la firme Stantec. Pour Chantal Sorel, vice-présidente directrice et directrice générale, Capital, de SNC-Lavalin, la taille des projets actuels fait que les firmes n’ont pas d’autre choix que de se regrouper en consortiums. « Le marché a beaucoup changé au cours des 15 dernières années, cela demande de nouvelles pratiques et outils. » Les acteurs du génie-conseil voient émerger de nouvelles formes de financement, plus complexes, mêlant secteur public et secteur privé, à l’image des projets en mode alternatif (en PPP ou en construction, conception et financement [CCF]), comme dans le cas de l’échangeur Turcot ou du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Alors que son cabinet surveille une douzaine de projets en construction et conception pour les quatre à huit prochaines années, le président et chef de la direction de Cima+, François Plourde, précise que ce type de modèle permet de réduire l’échéancier de moitié. « L’ingénierie se fait parallèlement aux étapes de construction. Mais cela nécessite aussi d’avoir accès à davantage de ressources pour livrer dans des échéanciers plus serrés. »
Dans le cas de la STM, les projets de développement à long terme (tels que le prolongement de la ligne bleue ou les grands programmes de rénovation) sont réalisés avec des équipes mixtes comprenant au minimum 30 % du personnel de la STM. « Mettre en place un bureau de projet avec une firme externe nous permet d’assurer une forme de continuité et de conserver des expertises à l’issue du contrat », confie M. Chamberland. Cela ne résout cependant pas complètement la question du recrutement : « Nous aurons aussi besoin de ressources pour le prolongement du métro et on se demande si, une fois que nous aurons sélectionné notre partenaire, il y en aura assez pour tout le monde. »