Se fixer des cibles ne règle pas les problèmes sous-jacents d’un manque de diversité, souligne également Suzie Mondésir, qui enseigne l’EDI à l’Université de Saint-Boniface. (Photo: courtoisie)
« Êtes-vous pour ou contre les quotas ? » Cette question en apparence anodine posée par un membre de l’audience à la fin d’un panel sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) qui se tenait au printemps dernier a eu l’effet d’une douche froide sur la salle.
Mal utilisés ou non intégrés à une stratégie d’inclusion qui crée un environnement de travail où tout le monde se sent à sa place, les quotas peuvent avoir de fâcheuses conséquences sur les travailleurs qui en bénéficient, d’après les expertes consultées.
Dans le cadre de son doctorat en management de projet, Suzie Mondésir s’intéresse à la sous-représentation intersectionnelle dans des postes stratégiques. Sur le terrain, le malaise à l’égard des quotas lui a fréquemment été mentionné.
Certes, reconnaît-elle, instaurer des cibles génère rapidement des résultats. Cependant, elles peuvent nuire à la rétention de certains membres du personnel.
« Après, c’est comme s’il y avait un nuage qui suivait ces personnes [recrutées après l’adoption de quotas]. Leurs collègues peuvent minimiser leurs capacités, croyant qu’ils n’ont eu le poste que parce qu’on voulait cocher une case », rapporte-t-elle.
Ce phénomène est encore plus dévastateur pour les individus occupant des postes de direction ou qui siègent à un conseil d’administration, où on s’attend à ce qu’ils prennent des décisions. Si cette perception leur colle à la peau, ils courent le risque de s’autocensurer ou de croire que leur voix ou leur opinion n’a pas autant de poids que celle de leurs collègues.
« La personne elle-même pourrait le voir négativement et avoir l’impression qu’on lui a offert quelque chose à cause de sa différence. Ça jette de l’ombre sur ses qualifications réelles », ajoute la conseillère en ressources humaines agréées.
Indicateur de performance trompeur
Une entreprise qui tenterait d’atteindre à tout prix ses quotas pourrait être en train de faire ce que l’on appelle du « tokénisme », soit la pratique de recruter une personne uniquement pour faire bouger l’aiguille de ses indicateurs de performance sans qu’une vraie stratégie d’inclusion n’ait été mise en branle, explique la présidente et consultante de Loin devant ressources humaines, Elisabeth Petit.
Les quotas ou les cibles ne sont pas garants d’un milieu de travail représentatif, renchérit Sana Arfaoui, stratège en pratique EDI et candidate au doctorat en administration des affaires à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle constate que pour faire bonne figure auprès des autorités des marchés financiers et des investisseurs, de grandes organisations prennent des raccourcis.
Ainsi, certaines vont sembler atteindre la parité chez leurs employés, mais les femmes seront surreprésentées dans les postes de première ligne, ou circonscrites dans des divisions bien précises. D’autres vont jouer à la chaise musicale avec leur équipe de la haute direction déjà en place, plutôt que d’y apporter de nouveaux acteurs.
« Pour le public ou les investisseurs qui ne savent pas ce qui se passe dans l’organisation, on peut avoir l’impression que les choses changent. En réalité, ce n’est pas le cas, car on n’a pas embauché de nouvelles personnes. »
Se fixer des cibles ne règle pas les problèmes sous-jacents d’un manque de diversité, souligne également Suzie Mondésir, qui enseigne l’EDI à l’Université de Saint-Boniface.
Les conditions gagnantes
Sana Arfaoui est néanmoins d’avis que les quotas intégrés à une stratégie EDI peuvent servir de bougie d’allumage à l’implantation de pratiques qui donnent une chance équitable aux travailleurs habituellement sous-représentés.
Suzie Mondésir rappelle que plusieurs pratiques existent pour évaluer comment une organisation s’en tire de ce côté. Elle peut par exemple s’intéresser à ses démarches de recrutement et aux genres de profils qu’elle a tendance à embaucher.
La main-d’œuvre dont l’entreprise dispose déjà devra être analysée, en fonction des divisions et de la hiérarchie, pour déterminer si elle représente son marché, ajoute Sana Arfaoui. Elle doit ensuite se fixer des objectifs convaincants autant pour l’interne que pour l’externe, défaire les biais cognitifs et mettre en place une stratégie d’attraction des talents souhaités dans de nouveaux bassins de travailleurs.
« On doit s’intéresser à ce qui les empêche de postuler, à notre réputation à leurs yeux en tant qu’employeur », souligne-t-elle.
L’entreprise doit mettre en lumière les raisons pour lesquelles elle souhaite atteindre de telles cibles, incluant les avantages qu’elle compte en retirer. Ce n’est qu’après cet examen de conscience, visant à mieux définir ses limites, qu’elle pourra se fixer « des objectifs concrets, qui ne sont pas nécessairement réglementés au sens d’un quota, et qu’elle prendra réellement des actions pour retirer des barrières systémiques, martèle Elisabeth Petit. C’est vraiment essentiel pour se mettre en action ».
Il est difficile de savoir si les gestes posés sont suffisants pour pallier l’effet pervers des quotas, concède Suzie Mondésir. La chargée de cours en management à l’Université du Québec à Montréal recommande toutefois de sonder ses employés intégrés après leur adoption afin de leur demander s’ils se sont sentis inclus à leur arrivée.
Elle encourage aussi fortement de mener des entrevues de départ avec les personnes qui décident de quitter l’organisation. « On s’en prive, car ça peut être difficile, mais ça peut être tellement porteur d’avoir ce pouls franc et sincère, pour vérifier si ce qu’on a fait par le passé porte fruit. »