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Le Québec, un «équilibreur» énergétique

Katia Tobar|Édition de la mi‑septembre 2022

Le Québec, un «équilibreur» énergétique

Terre-Neuve-et-Labrador (Photo: CRErik Mclean pour Unplash)

EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE. Grâce à l’hydroélectricité, les électrons du Québec sont verts. En voyageant entre les provinces, ils pourraient bien aider le Canada à atteindre son objectif de production d’une électricité carboneutre d’ici 2035. Les provinces sont-elles prêtes à coopérer ?

Grâce à sa capacité de stockage que procurent ses grands barrages, le Québec peut jouer un rôle d’« équilibreur » énergétique, indique Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

S’il exporte ses surplus vers les provinces voisines et s’il importe en période de pointe des électrons propres provenant de l’énergie éolienne ou solaire, le Québec pourrait non seulement optimiser sa consommation énergétique, mais aussi assurer la fiabilité du réseau quant à la demande croissante en électrification dans les secteurs des transports, du chauffage des bâtiments, et de l’industrie.

 

La boucle de l’Atlantique

Plusieurs projets d’interconnexions énergétiques sont en cours de réalisation. À l’est, la boucle de l’Atlantique se dessine, réunissant le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Le Maritime Link, reliant l’île de Terre-Neuve-et-Labrador à l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, permet à l’hydroélectricité produite à Muskrat Falls de circuler vers les provinces voisines depuis 2018.

Cette boucle de l’Atlantique vise à limiter la production d’électricité à partir du charbon, encore très présent dans la région. Selon la Feuille de route sur l’énergie propre du gouvernement du Canada, « quelque 2000 mégawatts » d’électricité sont encore produits à partir de combustibles fossiles dans la région atlantique, « notamment en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, qui dépendent respectivement du charbon pour environ 50 % et 17 % de leur approvisionnement actuel en électricité ».

 

Réduire les coûts de la décarbonation

Pour décarboner les systèmes électriques des provinces atlantiques, de nombreux investissements dans la construction et la rénovation d’infrastructures ont été nécessaires, rappelle le document.

Ces investissements ont entraîné une augmentation des tarifs d’électricité. Le Canada Atlantique est ainsi devenu la région où « les taux résidentiels et industriels (…) sont parmi les plus élevés » du pays.

Selon Ressources naturelles Canada, les interconnexions électriques entre les provinces s’imposent alors comme autant de façons de réduire les coûts de décarbonation.

Cette coopération énergétique permettrait d’éviter la « surconstruction » de parcs éoliens et atténuerait les coûts liés au stockage d’énergie, explique Pierre-Olivier Pineau.

 

Les interconnexions, un mythe ?

« Dans un monde idéal, pour réduire les coûts, il faut faire des interconnexions (…), mais c’est un mythe de penser que cela va régler le problème. Il y a de gros enjeux entre les provinces », note Normand Mousseau, professeur de physique et directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal.

En Atlantique, « la puissance des lignes sur la boucle n’est pas suffisante pour pouvoir fermer les centrales au charbon et au gaz naturel », précise le professeur.

« Ce qui est un peu ironique avec ce projet-là, c’est qu’il est en train d’être mis en place maintenant, mais sa capacité est déjà en deçà de ce qui est nécessaire. Puis, en plus, il ne fonctionne pas au maximum de sa capacité ».

Selon Éloïse Edom, associée de recherche à l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, c’est en raison de « limitations techniques ». « Mais même au maximum de sa capacité, c’est en deçà des besoins » en électrification, dit-elle.

En plus des problèmes techniques, des tensions politiques entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, à propos de la renégociation du contrat concernant la centrale hydroélectrique de Churchill Falls — qui expire en 2041 —, viennent compliquer la concrétisation de la boucle.

Du côté ontarien, il existe déjà une ligne de transport, et pour Normand Mousseau, « on pourrait en construire une autre à côté ».

Mais « l’Ontario ne veut rien savoir de l’électricité du Québec », assure-t-il.

Pierre-Olivier Pineau observe en effet un certain « protectionnisme énergétique ».

« Il y a un manque de collaboration dans les politiques énergétiques des provinces, explique-t-il, comme s’il fallait être autosuffisant en approvisionnement électrique alors que ce n’est pas le cas pour le pétrole ou le gaz naturel liquéfié. »

Face à ces problèmes, il ne faut pas tout miser sur les interconnexions pour décarboner la production d’électricité d’ici 2035 et répondre à la demande en électrification, s’accordent à dire Normand Mousseau et Éloïse Edom.

Les chercheurs plaident plutôt pour des investissements massifs dans « les approvisionnements et les infrastructures de transport et de distribution » dans chaque province.

« Les plans d’investissement ne sont pas alignés sur les objectifs climatiques, sur les objectifs d’électrification du fédéral et de plusieurs provinces. On est face à un mur, présentement, il y a un décalage complet, alerte Normand Mousseau. En fait, il n’y aura pas assez d’électricité, sauf peut-être au Québec, pour répondre à la demande. »