Fondée en 1982 et basée à Saint-Hyacinthe, Jefo conçoit et exporte des produits destinés à la prévention des maladies et au bien-être des animaux d’élevage. (Photo: 123RF)
LES 300. Considérée à tort comme un simple arrêt sur l’autoroute 20 reliant Québec et Montréal, sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, Saint-Hyacinthe est pourtant le siège d’une technopole agroalimentaire enviable. Pour la PME multinationale Jefo, la ville montérégienne est en fait la capitale d’un «royaume» agroalimentaire qui lui permet de rayonner dans 80 pays.
Comptant plus de 450 employés partout dans le monde, plus de 400 millions de dollars de chiffre d’affaires et une croissance d’au moins 10 % par année, la PME maskoutaine a de quoi faire rougir d’envie ses compétiteurs.
Fondée en 1982, Jefo, l’«Adrien Gagnon de la santé animale», au dire de sa vice-présidente, Marques et produits, Émilie Fontaine, conçoit, fabrique et exporte des vitamines, des minéraux, des acides aminés, des huiles essentielles, des acides organiques et des suppléments alimentaires destinés à la prévention des maladies et au bien-être des animaux. De l’Asie à l’Amérique du Sud, Jefo exporte partout.
«Notre travail est de trouver des solutions durables et naturelles afin de contrôler les populations bactériennes chez les animaux, explique Mme Fontaine. Partout dans le monde, les gens demandent de plus en plus des viandes sans hormones et sans antibiotiques. Nous, nous offrons des solutions de rechange aux antibiotiques comme facteurs de croissance [qui stimulent celle-ci] pour des prix équivalents, et pour une performance équivalente.»
Selon son père, Jean Fontaine, président et fondateur de l’entreprise, «pour réussir à nourrir un plus grand nombre d’animaux, nous devons exporter dans le monde entier». Toutefois, les différences entre la réglementation canadienne et celles des pays où Jefo souhaite commercialiser ses solutions constituent un enjeu crucial. «La législation en place chez nous présentement ralentit le processus d’exportation, car les délais d’enregistrement peuvent varier de quelques mois à quelques années, fait-il remarquer. Heureusement, le fait d’être une entreprise canadienne se révèle un grand avantage, puisque la qualité et l’innovation d’ici sont reconnues mondialement.»
«La marque « Fait au Canada », c’est super bien perçu à l’étranger», renchérit sa fille. Cependant, elle estime qu’il serait beaucoup plus simple de produire à l’étranger, soit aux États-Unis ou en Europe. «Au Canada, nos normes sont très compliquées, très sévères. C’est un couteau à double tranchant : nos normes de qualités font l’envie de plusieurs, mais en même temps, ça me prend un an pour enregistrer un nouveau produit ici, et deux ans de plus pour la Chine. Mes compétiteurs, ils n’ont pas à faire ça. Oui, il y a toujours un risque qu’ils viennent nous couper l’herbe sous le pied.»
Si certains produits moins élaborés, comme la lysine et la méthionine (des acides aminés), sont fabriqués en Chine pour le compte de Jefo, la PME s’assure d’aller sur place pour vérifier la qualité des installations et des processus.
Heureusement, les tensions récentes entre Pékin et Ottawa n’ont pas affecté les affaires de l’entreprise maskoutaine. «Malgré ce qu’on lit dans les journaux, c’est plus un virus qui a attaqué les populations porcines asiatiques – qui a fait en sorte que plusieurs cheptels ont dû être abattus – qui nous a affectés, précise Mme Fontaine. Si les cochons meurent, on ne peut plus les nourrir.»
Un «campus» de 12 M $
«L’immigration est très importante pour nous, lance la vice-présidente. Surtout qu’il nous faut souvent des gens bilingues, voire trilingues. Bien sûr, en région, la diversité, c’est peut-être moins évident qu’à Montréal ; c’est pourquoi nous offrons un programme obligatoire sur l’inclusion et la diversité.» Celles-ci se vivent au quotidien, alors que «des gens d’au moins 26 ou 27 nationalités différentes» travaillent chez Jefo.
Le recrutement n’est pas encore un «enjeu critique» pour la PME, mais demeure un défi de taille. «On le voit, c’est plus difficile qu’auparavant», note Mme Fontaine.
L’entreprise doit donc plaire à ses employés et à ses recrues. Pour ce faire, elle a investi plus de 12 M $ dans son «Campus Jefo». L’édifice compte entre autres des chambres pour recevoir ses clients et des espaces pour organiser des soupers. «Ça donne l’image d’une grosse entreprise, résume la vice-présidente. Ça fait réaliser à tout le monde que Jefo, c’est important, et que ça va se poursuivre», dit-elle.
L’entreprise a aussi misé sur un environnement épatant, avec un vignoble de 25 000 vignes à proximité. Beaucoup de luminosité, des ordinateurs performants, un centre de conditionnement physique complet, des équipements d’entraînement sportif, des bornes de recharge pour véhicules électriques. Sans parler des services pour l’entretien des vélos et des voitures des employés.
Des investissements philanthropiques majeurs ont également été faits. «Nous avons commandité le Pavillon Jefo sur le site de l’Expo agricole de Saint-Hyacinthe. Ça soutient la collectivité et ça nous permet d’entrer en contact avec les animaux, souligne Mme Fontaine. Ça peut développer des passions et c’est un super beau point de contact avec le grand public.»
Les prochaines étapes
Depuis janvier, le projet d’une toute nouvelle usine est sur les rails, afin de «réduire les risques si un problème survient avec notre site actuel», explique la vice-présidente. «Avec une première pelletée de terre prévue au printemps 2020, cela nous permet aussi d’envisager d’autres horizons, de rajouter de la capacité et de voir plus grand.»
Mme Fontaine soutient également qu’un plan de transition est déjà en place. «Nous sommes très conscients que mon père va travailler jusqu’à son dernier souffle, mais c’est aussi très important de se préparer et de nous entourer des meilleurs afin de maintenir le succès.»
Des meilleurs, mais également de la famille. «C’est une grande fierté que de travailler avec mes enfants et de voir qu’ils veulent aussi poursuivre mon rêve d’aider les producteurs à élever des animaux de façon plus saine et plus durable», affirme M. Fontaine en soulignant que «si l’engagement environnemental est très tendance actuellement, cet enjeu fait partie des objectifs depuis le début».
«Cependant, poursuit le président, je suis probablement plus exigeant envers mes enfants que les autres employés. Je veux qu’ils réussissent et qu’ils soient prêts à prendre la relève.» Pour prévoir la passation des pouvoirs, explique-t-il, «nous avons mis sur pied des comités consultatif, exécutif et opérationnel afin de nous guider dans les prochaines phases de gestion et d’expansion de l’entreprise».
Avec son frère Jean-François – qui est aussi vice-président de la PME -, Mme Fontaine dit avoir travaillé dans à peu près tous les départements de Jefo. C’est une force, «mais c’est aussi super difficile de ne pas parler des affaires lorsque nous partageons un moment en famille», explique-t-elle en riant.
«Nous sommes sans doute plus exigeants envers les membres de notre propre famille, dit-elle, faisant écho à son père. Cela dit, j’espère que nos enfants, éventuellement, vont s’impliquer dans l’entreprise.»