«Le p’tit gars de la région» derrière le Groupe Raymond
Matthieu Charest|Édition de la mi‑octobre 2019«Moi, je ne suis pas au 25e étage de ma tour, je suis avec mon monde. Il ne faut surtout pas s’enfler la tête», dit Alain Raymond, président et fondateur de Groupe Raymond. (Photo: courtoisie)
LES 300. Enraciné à Gatineau, ce fleuron québécois rayonne pourtant dans toute la province. Avec des bureaux en Outaouais, à Montréal, à Québec et à Amos, 300 employés, une croissance annuelle de 15 % et un chiffre d’affaires de plus de 50 M $, la performance du Groupe Raymond, spécialisé dans les toitures et les revêtements commerciaux et résidentiels, est remarquable.
Derrière les chiffres qui scintillent se trouve un homme, le président et fondateur de l’entreprise, Alain Raymond, dont le parcours singulier ressemble en tous points à un conte de fées.
À 12 ans, le «p’tit gars» de Mont-Laurier abandonne les bancs d’école pour travailler avec son père sur la ferme familiale. Troisième enfant d’une famille nombreuse, il y a plusieurs bouches à nourrir à la maison. «Mon père m’a dit : « Tu seras ma relève »«, raconte l’homme d’affaires. Jusqu’à 17 ans, il s’imprègne de la vie d’agriculteur. Dès l’aube jusqu’à la tombée du jour, il sème les récoltes, fait les foins, élève et tue les porcs. Lorsque ses frères, plus jeunes, sont fins prêts à prendre la relève, il quitte son coin de pays. Direction Montréal.
L’impulsion olympique
Dans la métropole, il apprend un tout autre métier. À l’heure où Montréal vibre à l’annonce des Jeux olympiques, il devient ferblantier couvreur. «Il y avait une belle croissance dans ce domaine-là», dit-il.
De Beauharnois à Pointe-aux-Trembles, le jeune homme trime dur. Puis, vint 1976. Cette année-là, se souvient-il, «j’ai dit à mon patron que j’avais une bonne nouvelle pour moi : « Je me lance à mon compte ! »«.
Entouré de sa première femme et de son premier enfant – Nancy, alors âgée de six mois, qui deviendra elle aussi entrepreneure -, il s’installe dans la petite municipalité de Maniwaki, d’où vient son épouse. À 23 ans, il fonde son entreprise. «À ce moment-là, j’avais 10 000 $ dans mon compte de banque. Les taux d’intérêt étaient tellement élevés que quand tu n’avais pas de dettes, tu étais riche», raconte-t-il.
Il embauche des employés et fait sa marque. Rapidement, le terrain de jeu devient trop petit. M. Raymond vise plus haut. Pour croître, il lui faut un marché avec un fort potentiel de croissance ; il mise sur Gatineau.
«J’admire beaucoup sa vision, confie à Les Affaires sa fille aînée, aujourd’hui dans la quarantaine. Il saisit toujours les occasions. Il a du flair. Ce n’est pas de la chance, c’est de l’instinct, pense-t-elle. Peut-être un instinct de survie, parce qu’il n’a pas été à l’école et qu’il a dû se débrouiller très jeune.»
L’instinct aura donc été payant. Parce que c’est lorsque M. Raymond s’installe dans la région de la capitale fédérale que son entreprise prend véritablement son envol. Gatineau et Ottawa, juste en face, connaissent une croissance fulgurante. Dans ce qu’il surnomme «mon petit Montréal à moi», le marché est vaste, fertile. Il recrute, décroche des contrats de plus en plus importants et, surtout, il s’entoure des bonnes personnes.
«Seul on va vite, ensemble, on va loin». Cette phrase, M. Raymond la répétera à plusieurs reprises pendant l’entrevue. Avec une équipe qui compte 300 personnes, «les babines suivent les bottines», comme il se plaît aussi à souligner.
Et son cercle rapproché est soigneusement choisi. Ses deux associés le complètent parfaitement, explique-t-il. «Oui, j’ai fait ma chance. Mais j’ai surtout su m’entourer des bonnes personnes. Je ne suis pas trop instruit, pas trop bilingue. Heureusement, depuis 25 ans, j’ai un excellent « ministre des Finances » et un associé qui va chercher les contrats. Moi, je m’amuse. C’est clair, il y a des gens qui font mieux le travail que moi.»
Il s’amuse, certes, mais à 67 ans, il continue de «défoncer les portes», affirme son vice-président, Développement des affaires et communications, Pierre Lafontaine. «Il ne s’arrête jamais. Il est très déterminé. Et il va toujours au-delà de ce qu’on avait espéré.»
Il n’est pas prêt à s’arrêter et à prendre sa retraite, si l’on en croit sa fille, qui est à la tête de Steamatic Canada, une entreprise pancanadienne spécialisée dans la restauration après sinistre. «Il n’arrêtera jamais, lance la femme d’affaires. Quand il ne travaille pas dans son entreprise, il travaille ailleurs, sur ses terrains ou au chalet.»
Comme si ce n’était pas assez, M. Raymond s’implique aussi beaucoup auprès d’autres entrepreneurs, en tant que mentor. «Moi, je n’ai pas vraiment eu de mentor, si ce n’est de mon bon ami André Beaudoin, un homme d’affaires de l’Outaouais qui a importé les barbotines Slush Puppie au Canada, raconte-t-il. Il m’a tellement donné de bons conseils… Maintenant, c’est à mon tour de redonner.»
«Quand je fais des recommandations, je vois les yeux des gens qui pétillent, on se dit les « vraies affaires », poursuit-il. J’ai vu des coiffeuses que j’ai accompagnées devenir de grandes femmes d’affaires. C’est tellement valorisant d’être un mentor.» Pour lui, pas de doute, les gens qui veulent se lancer en affaires doivent «apprendre à se faire confiance». Pour réussir, il faut simplement être déterminé et aller chercher de l’aide. «Du soutien, il y en a», assure-t-il.
De quoi inspirer ses centaines d’employés, qu’il estime tout de même traiter aux petits oignons. «Je les aime, tout simplement», laisse tomber M. Raymond, qui a même été nommé Personnalité de l’année 2018 par la Chambre de commerce de Gatineau.
Garder son monde
«Moi, je ne suis pas au 25e étage de ma tour, je suis avec mon monde, raconte le fondateur de Groupe Raymond. Il ne faut surtout pas s’enfler la tête. Que ce soit l’homme qui passe le balai ou mon mécanicien, je les serre dans mes bras. J’aime mon monde.»
«Mon père était très réservé, très modeste, poursuit-il. Il disait que la grandeur d’un homme, ça se mesure des épaules en montant.» Aussi humble soit-il, M. Raymond croit qu’il faut aussi se montrer très à l’écoute de ses employés, car la main-d’oeuvre, c’est une «jungle». «Tu dois avoir de la vision, souligne-t-il ; te projeter comme si nous étions en 2025 ou en 2030. Parce que si tu ne comprends pas ça, les compétiteurs vont en profiter pour te voler ton monde.»
L’entreprise s’assure donc d’investir dans la rétention de ses employés. Des fruits frais livrés au bureau jusqu’aux inscriptions payées dans un centre d’entraînement, en passant par le party de Noël tous frais payés, tout est pensé pour plaire aux employés. Ou aux futures recrues, car le recrutement passe aussi beaucoup par contacts. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Le soutien et le sentiment d’appartenance ont aussi beaucoup d’impact. Les petits gestes, comme de soutenir un employé endeuillé, ça compte énormément, et M. Raymond n’en démord pas, «ça fait le succès de mon entreprise».
Les piliers de la croissance
La crédibilité de son entreprise lui permet d’obtenir d’importants contrats qui touchent la rénovation du centre commercial régional Les Promenades de l’Outaouais, du Musée des sciences et de la technologie du Canada, du Casino du Lac-Leamy ou encore du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
L’entreprise de M. Raymond mise aussi sur d’autres piliers pour assurer sa croissance. «Il y a beaucoup de recrutement à l’interne, explique M. Lafontaine. Nous avons notre propre école de formation qui nous permet de maximiser le potentiel de nos employés.»
Pour le vice-président, la croissance future du Groupe va aussi passer par d’autres acquisitions. Et ce, après avoir avalé une entreprise d’Amos, les Toitures G.G.R., et une autre, Recouvrements métalliques Bussières, qui est active à Montréal et à Québec.
D’ailleurs, les circonstances sont bonnes pour mettre la main sur d’autres entreprises. À l’heure où la pénurie de relève est importante, les occasions se présentent. Il le faudra bien, parce que M. Raymond se promet qu’après avoir doublé de taille depuis les cinq dernières années, son entreprise doublera encore d’ici les cinq prochaines.
Au vu du chemin qu’il a parcouru, on serait tenté de le croire sur parole.