Le «fitness numérique» pour rester sur la coche en comptabilité
Jean-François Venne|Édition de février 2020La chaîne de blocs est l'une des technologies auxquelles les cabinets comptables doivent s'adapter. (Photo: courtoisie)
LES GRANDS DE LA COMPTABILITÉ. Au sein des cabinets comptables, les nouvelles technologies sont perçues comme un bouleversement riche en occasions d’affaires.
Chez PwC, par exemple, le virage numérique a enclenché la vitesse supérieure en 2019. Tous les employés de la firme, au Canada, sont passés par une « académie numérique » pour se familiariser avec des outils comme Tableau, qui fait de la visualisation de données, Alteryx, une plateforme d’analyse de données et bien d’autres encore. « Nous développons la capacité de nos gens à travailler avec les nouveaux outils numériques, mais aussi leurs compétences générales (soft skills) afin qu’ils soient à l’aise de travailler dans le changement, car ces outils transforment nos façons de faire », souligne Sonia Boisvert, associée et leader, Certification pour le Grand Montréal de PwC.
La firme a poussé l’exercice plus loin pour 130 de ses employés, lesquels ont suivi une formation intensive afin de devenir des « accélérateurs technologiques ». Le bureau de Montréal en compte 14, dont 9 femmes. « Notre rôle est d’agir comme agents de changement auprès des gens sur le terrain, explique Suzanne Huynh, directrice, Risque et conformité chez PwC. Cela permet d’avoir un changement qui vient de la base, tout en étant appuyé par le leadership. »
PwC a même développé une application de « fitness numérique ». On peut y regarder des vidéos de formation, puis répondre à des questions. Les résultats à ces petits tests composent un score d’habileté numérique que les employés s’amusent à comparer.
Évoluer avec les clients
Sans révéler son âge (nous n’avons pas insisté), Michel Bergeron, associé directeur des services de certification pour l’est du Canada d’EY, se rappelle avoir commencé à pratiquer son métier sans ordinateur. Le summum de la technologie était alors le téléphone et le télécopieur. Des changements technologiques, il en a vécu quelques-uns depuis.
Ne lui dites pas que la révolution numérique menace les comptables. Il est de ceux qui croient qu’au contraire, elle ajoutera de la valeur à ces professionnels. « Mais il faut se transformer, ce qui est déjà commencé », précise-t-il. L’automatisation de plusieurs tâches manuelles répétitives est d’ailleurs largement amorcée. Cela réduit les coûts liés à ces opérations, tout en en augmentant la rapidité ainsi que la précision des résultats.
Chez EY, les audits sont 100 % sans papier. Le travail peut se faire en collaboration avec des collègues situés n’importe où dans le monde. L’équipe peut accéder à un dossier en direct et en constater en temps réel l’état d’avancement à partir d’une application mobile.
Le plus grand changement qu’apportent les nouvelles technologies, selon M. Bergeron, est la fulgurante augmentation de la capacité de gérer et d’analyser un grand volume de données. Il est désormais possible d’effectuer des vérifications comptables sur l’ensemble des transactions d’une entreprise, plutôt que sur un échantillon. Grâce à l’apprentissage automatique, des outils sont capables d’apprendre à repérer les opérations suspectes.
Le virage numérique exige également de suivre l’évolution de la technologie des clients. S’ils adoptent la chaîne de blocs (blockchain), par exemple, il faut savoir s’adapter. Cette méthode offre de nouvelles possibilités, mais pose aussi de nouveaux risques comptables. EY embauche de plus en plus d’experts en technologies numériques. Le cabinet profite aussi de son Centre d’innovation, dirigé par un chef de la direction de l’innovation (CIO). « Il y a des gens chez nous qui consacrent leur temps à étudier les nouvelles technologies et à faire évoluer le cabinet », souligne M. Bergeron.
Transformation rapide
L’associé en certification chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT), Louis Roy, affirme que la profession comptable s’est toujours adaptée aux changements économiques et technologiques. « La grande différence, en ce moment, confie-t-il, c’est la très grande vitesse des changements. »
Les cabinets doivent rapidement développer des applications concrètes des nouvelles technologies, former leurs employés et recruter les talents nécessaires pour réussir le virage numérique. Pour la profession, cela pose le défi de faire évoluer les normes et l’encadrement, afin de permettre l’innovation tout en protégeant le public.
RCGT a pris le virage numérique de plain-pied. En 2017, elle a lancé la filiale Catallaxy, spécialisée dans l’authentification des données. Celle-ci compte des experts en analyse de données cryptographiques, en blockchain, en intelligence artificielle et en segmentation des unités (tokenization). Catallaxy a accompagné l’entrée en Bourse d’Ontario du fonds bitcoin à capital fixe de 3iQ, une première mondiale. RCGT a aussi terminé, en 2018, le premier audit d’un fonds de cryptomonnaie avec The Crypto Fund.
« Grâce au virage numérique, le métier de comptable va évoluer pour le mieux, croit M. Roy. Les tâches ennuyantes seront automatisées et nous pourrons nous concentrer sur les enjeux d’affaires, si importants pour nos clients. »