La navette électrique sans chauffeur de Keolis (Photo: Ville de Candiac)
LES GRANDS DU DROIT. L’arrivée des véhicules autonomes sur nos routes entraîne le développement d’une nouvelle pratique dans certains bureaux d’avocats. Multidisciplinaire, cette pratique vise à conseiller les entreprises sur les enjeux légaux liés à ces innovations.
Le 4 octobre 2018, à Candiac, une navette électrique sans chauffeur transportait ses premiers passagers dans le cadre d’un projet-pilote autorisé par le gouvernement du Québec. Me Pierre-Olivier Ménard Dumas, du cabinet de Québec Stein Monast, a agi comme consultant auprès de Keolis, l’exploitant de ce véhicule.
« C’était une magnifique occasion d’apprentissage pour nous, confie-t-il. Cela nous a permis de développer une compétence qui reste rare au Québec. » Le bureau a déployé une équipe multidisciplinaire, puisque ce projet soulevait plusieurs questions, par exemple sur les plans de l’assurance et de la responsabilité civile du constructeur.
Ce cas a attiré beaucoup d’attention médiatique au Québec et au Canada, ce qui a aussi rejailli sur Stein Monast. Transdev, un autre promoteur de transport autonome, est devenu un client de Me Ménard Dumas récemment.
Passionné, Me Ménard Dumas souligne que ce sujet, sur lequel il écrit depuis 2015, l’amène à élargir sa pratique. Spécialisée en droit du transport, son équipe représente plusieurs transporteurs de personnes et de marchandises. « Les véhicules autonomes créent toutefois des enjeux importants pour les compagnies d’assurance et les constructeurs, et cela fait partie de l’expertise que nous développons », précise-t-il.
D’autant qu’il n’est pas seulement question de responsabilité civile ou d’assurance. Les véhicules autonomes pourraient bouleverser bien des modèles d’affaires, que ce soit en transport de marchandises ou de personnes. Des systèmes axés sur la mobilité comme service (MaaS) soulèveront des interrogations sur le plan de la propriété des actifs tels les camions, les logiciels et les données. L’arrivée de véhicules autonomes dans les flottes de camions modifiera également le rôle des chauffeurs, posant ainsi des défis en droit du travail.
Effort d’adaptation
Au cabinet Lavery, Me Léonie Gagné est spécialisée en droit des assurances, de la responsabilité du fabricant et du vendeur ainsi qu’en responsabilité civile et professionnelle. Elle s’intéresse beaucoup aux innovations technologiques, notamment aux effets de l’émergence de l’intelligence artificielle. Le sujet des véhicules autonomes est apparu sur son radar vers 2016. L’Ontario venait de créer un cadre législatif permettant la circulation de ces engins dans les rues, dans le cadre de projets-pilotes.
Au Québec, le Code de la sécurité routière n’avait pas été amendé en ce sens, ce qui freinait l’essor de ce type de projets.
« Le gouvernement provincial a toutefois corrigé le tir en
2018 », précise Me Léonie Gagné. Il a alors autorisé l’utilisation de véhicules de niveau 1, 2 ou 3 d’automatisation. Il faut savoir que les véhicules autonomes sont classés de 1 à 5, selon leur degré d’autonomie. Ceux de niveau 4 et 5, dont l’automatisation est très importante ou complète, demeurent donc interdits, sauf dans le cadre de projets-pilotes sanctionnés par le gouvernement.
Au départ, les promoteurs de tels projets devaient toutefois verser une caution à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). En cas d’accident, cet argent pouvait servir à payer des victimes de dommages corporels. Cela constituait un frein pour les promoteurs, rapidement levé par le gouvernement. « Maintenant, l’assurance sans égard à la responsabilité (no fault) s’applique si un accident impliquant un véhicule autonome survient, et la SAAQ dédommagera d’éventuelles victimes », souligne Me Léonie Gagné.
L’avocate porte également son attention sur les répercussions que les véhicules autonomes auront sur les compagnies d’assurance. Elle note que ces véhicules entraînent l’émergence de nouveaux joueurs dans le secteur. Tesla, par exemple, offre certains types d’assurances aux propriétaires de ces véhicules. Les modes de transport autonomes pourraient aussi grandement réduire le nombre d’accidents, très souvent causés par des erreurs humaines. Comment réagiront les assureurs ? Baisseront-ils le coût des primes devant cette diminution ? Les hausseront-ils, au contraire, en raison du coût plus élevé de réparation ou de remplacement de ce type de biens ?
Autre question délicate : la protection des renseignements personnels. Les véhicules autonomes fonctionnent grâce à de multiples caméras. À qui appartient ce qu’elles enregistrent ? Ce contenu peut-il être partagé ? Faut-il brouiller les visages filmés à leur insu ou plutôt les conserver à des fins identification en cas d’accident ? Que faire des données de géolocalisation ?
« C’est un sujet qui est très débattu actuellement entre ceux qui s’intéressent aux véhicules autonomes, et il offre un bon exemple des défis que pose cette innovation », conclut Me Léonie Gagné.