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Laurent Proulx: confidences d’un repreneur en série

Emmanuel Martinez|Mis à jour le 13 juin 2024

Laurent Proulx: confidences d’un repreneur en série

«Le repreneuriat, c’est vraiment un processus humain, juge Laurent Proulx. L’erreur des gens, c’est de juste penser aux chiffres, puis de se mordre les lèvres ensuite.» (Photo: courtoisie)

REPRENEURIAT. Ancien conseiller municipal de Québec dans l’équipe du maire Régis Labeaume, Laurent Proulx s’est reconverti en repreneur en série.

Celui qui s’est fait connaître en 2012 pour son opposition à la grève étudiante en obtenant une injonction afin de poursuivre ses cours a repris pas moins de sept entreprises depuis 2017 dans la région de Drummondville, où il a grandi.

Il s’est d’abord fait les dents en prenant les rênes du restaurant Le Canadien, que détenaient ses parents à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, à la suite du décès de son père. « C’était difficile pour ma mère et je ne voulais pas qu’on vende, car j’y étais très attaché, confie-t-il. Mes parents avaient fait trop de sacrifices pour s’en départir. »

Fier de cette transition réussie, il met ensuite la main sur le restaurant Le Vieux-Saint-Charles, à Drummondville, en 2020.

« J’avais croisé le propriétaire, qui connaissait mon père, et je lui avais dit que s’il désirait vendre, j’étais intéressé, mentionne-t-il. Il m’a dit qu’il allait m’aider. Il a eu des offres plus lucratives pour démanteler son établissement afin de construire autre chose, car c’était situé à un coin stratégique, mais il voulait que cela reste un restaurant. »

Durant la crise sanitaire, ce fils unique a racheté deux cantines de sa région, en plus de prendre le contrôle de Léger et fils, une entreprise immobilière de ses parents. L’ex-politicien a ensuite jeté son dévolu sur Le Roy Jucep, une autre institution du milieu de la restauration à Drummondville.

« C’était une reprise progressive, car c’était gros, note-t-il. Le terrain est grand, sur une artère commerciale. En 2021, je suis devenu actionnaire, puis unique propriétaire en novembre 2022. »

Finalement, l’homme d’affaires a suivi son cœur en achetant Distribution P-One, une PME qui vend les produits Car Brite au Québec. « Je suis un maniaque d’automobile, donc quand j’ai su que c’était à vendre, j’étais intéressé, soutient-il. C’était pour me faire plaisir et tout proche de chez moi. »

Pour que les recherches d’entreprises s’avèrent fructueuses, Laurent Proulx recommande d’entretenir des relations avec les banquiers. « Ce sont ceux qui savent si leurs clients veulent vendre, déclare-t-il. Il faut les inviter à dîner, se faire un nom afin d’être celui à qui on pense en cas de vente. »

Il estime aussi qu’il faut souvent faire 50 tentatives avant de trouver la bonne entreprise à acquérir. « C’est un travail d’enquêteur, mentionne-t-il. Il faut regarder sur le registre des entreprises ou les réseaux sociaux afin de déterminer s’il y a un potentiel de rachat. Avoir de l’information, c’est la clé. Cela te permet de sauver du temps et d’être bien préparé pour la négociation. »

 

Magasiner un cédant

On pourrait croire que Laurent Proulx est à la recherche de bonnes affaires, mais il est avant tout à la recherche d’un cédant avec qui il est compatible.

« Il faut bien magasiner son cédant, mentionne-t-il. J’aime mieux conclure une entente risquée financièrement avec un propriétaire en or, plutôt qu’un accord facile avec quelqu’un avec qui je ne m’entends pas. J’aime mieux les défis financiers que les embûches psychologiques. »

Par conséquent, il estime essentiel, pour une reprise réussie, d’avoir des valeurs et une vision commune avec la personne qui vend.

« Une bonne relation avec un cédant doit se baser sur une confiance et un respect mutuel, précise-t-il. Elle est à deux sens : l’un doit ménager l’ego et le sentiment de l’autre. Oui, tu dois faire des changements, mais il faut heurter le moins possible la fierté du fondateur. Il faut faire preuve de beaucoup de compassion pour le cédant qui vit un deuil. »

Il avoue qu’il lui est arrivé de vouloir conclure une transaction, mais qu’il a reculé parce qu’il n’était pas sur la même longueur d’onde que le cédant. « Dans un moment comme ça, faut pas chercher à faire la morale, affirme-t-il. Il faut reconnaître qu’il y a un fossé qui ne sera pas franchissable. »

Cette philosophie, il l’applique aussi envers les employés lorsqu’il prend les clés d’une nouvelle entreprise. Il prend d’abord le temps de les rencontrer et de leur demander leur avis sur leur boulot et les processus en place.

« Il est vital d’instaurer le changement sans que l’employé ait l’impression qu’il faisait de la chnoute, croit-il. Il faut être très humain. On travaille avec des gens qui sont fiers de ce qu’ils font. On ne doit jamais les faire sentir pas bon. »

Évidemment, il y a inévitablement des changements à apporter, mais il estime qu’il faut dresser une liste de priorités et limiter les bouleversements, « sinon les employés vont devenir fous ».

Les clients ont aussi besoin d’être rassurés, afin qu’ils sentent que ce qui était apprécié dans l’entreprise sera maintenu. Une bonne relation avec le cédant est certainement cruciale pour enrayer les craintes des employés et des clients, selon lui.

« Le repreneuriat, c’est vraiment un processus humain, juge Laurent Proulx. L’erreur des gens, c’est de juste penser aux chiffres, puis de se mordre les lèvres ensuite. »