PDG de l’année 2023 – Petite entreprise | Indira Moudi
Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑novembre 2023«Notre modèle d’affaires est un chemin pour renverser la mondialisation. Le mélange entre les Shawiniganais de la région et ceux qui viennent d’ailleurs est magnifique», déclare Indira Moudi. (Photo: Martin Flamand)
LES PDG DE L’ANNÉE 2023. Indira Moudi aurait pu faire carrière n’importe où sur la planète, mais c’est à Shawinigan qu’elle a choisi de devenir patronne en rachetant, avec son conjoint, Viandes Lafrance.
Celle qui avait vécu dans plusieurs pays avant d’immigrer à Montréal à l’âge de 16 ans en 1989 sentait depuis longtemps qu’elle voulait diriger une entreprise.
« La fibre entrepreneuriale est là depuis ma formation en génie industriel », a confié la diplômée de Polytechnique Montréal en entrevue. À la suite de ses études, elle parcourt le monde en travaillant pour des multinationales aux États-Unis, mais aussi en Inde et dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique.
En 2009, elle se met à la recherche d’une PME à acheter afin de réaliser son rêve. Elle en visite une quinzaine en Mauricie, mais aucune n’attise son intérêt. Elle poursuit donc ses recherches avec son mari, qui est un Français d’origine vietnamienne.
« Cela aurait pu être n’importe quelle entreprise, mais puisqu’on prenait l’argent de nos propres poches, on en cherchait une en bon état, précise-t-elle. On a failli reprendre une branche d’une multinationale en Afrique de l’Ouest, mais on ne s’est pas entendus sur le prix. »
La Société d’aide au développement des collectivités de Shawinigan la recontacte pour lui dire que Viandes Lafrance, fondée en 1929, cherche un repreneur. Le couple décide alors d’acquérir cette entreprise familiale en 2012 parce qu’il apprécie son bilan et croit en son potentiel.
« Le plus grand défi, c’était l’intégration, confie la dirigeante. On a vécu un choc culturel. Il fallait triplement travailler pour se faire accepter, pour être aimés et pour montrer qu’on n’était pas là pour voler les jobs. »
Spécialiste de l’intégration
Cette expérience lui a servi lors de son recrutement de travailleurs immigrants. Ayant augmenté ses effectifs d’une dizaine de personnes depuis un an, Viandes Lafrance est fière de la diversité de sa main-d’œuvre, composée d’une douzaine de nationalités, alors qu’il n’y en avait aucune il y a une dizaine d’années. « C’est simple, si on n’a pas d’immigrants, la compagnie ferme, affirme Indira Moudi. L’inclusion est devenue une marque d’entreprise. »
En plus de s’engager dans la formation des nouveaux arrivants et de créer une division des ressources humaines qui s’occupe de la paperasserie, la patronne mise sur un accompagnement qui inclut notamment d’aller accueillir au besoin l’employé à l’aéroport et de l’aider pour se loger et ouvrir un compte de banque.
« L’être humain n’est pas fait pour vivre seul, mentionne celle qui habite en Mauricie. Nous investissons donc dans la famille proche. »
Les résultats sont probants, selon la lauréate 2023 du prix Courage de l’organisme américain Women Elevating Women: « Je ne cherche plus des gens. On m’appelle même pour recruter. Nous sommes un modèle d’intégration réussie en région. »
Miser sur le développement durable
Un des accomplissements de Viandes Lafrance en 2022 a été d’obtenir une certification fédérale de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour l’abattage et la transformation de bœufs, moutons et chèvres dans ses installations de Shawinigan, qui comptent près de 40 employés.
« C’était une première au Québec de passer d’un contrôle provincial à fédéral en augmentant nos processus de qualité, indique Indira Moudi. Cela nous a amenés à un autre niveau parce que sans cette certification, il est impossible de vendre la viande dans les chaînes. Cela a été très difficile et a pris un grand investissement. Si on n’avait pensé qu’à faire de l’argent, on ne l’aurait pas fait.»
L’entreprise fait affaire avec une quarantaine d’éleveurs et écoule ses produits pour environ 250 clients québécois. La PDG, qui ne connaissait rien à la transformation de la viande avant de se lancer dans cette aventure, se fait désormais l’apôtre du développement agricole local.
« Notre terre se portera mieux si nous réapprenons à nourrir l’humain de manière responsable, dit-elle. Au Québec, on a de l’espace et de l’eau, on n’a aucune raison de faire de l’importation si on tient compte de l’empreinte carbone, du bien-être animal et des valeurs sociales. La croissance capitaliste juste pour faire de l’argent n’a aucun bon sens.»
Elle estime que l’État québécois devrait en faire davantage pour encourager le secteur agroalimentaire local, notamment en offrant un meilleur accès au marché public. De plus, elle dénonce les institutions financières qui exigent de forts rendements pour accorder des fonds. Indira Moudi croit donc que l’État devrait prendre la relève avec des prêts à faible taux d’intérêt, une aide cruciale compte tenu des ravages de l’inflation et de la rareté de la main-d’œuvre dans son domaine.
« Le consommateur québécois veut savoir d’où vient sa viande et cela passe par de petits abattoirs, mentionne-t-elle. Dans cinq ans, j’espère qu’on sera plusieurs joueurs dans les grandes enseignes et qu’on aura réduit l’importation de viande. »
La PME a vu ses efforts être reconnus en remportant le prix de la Stratégie de développement durable au dernier gala Mercuriades de la Fédération des Chambres de commerce du Québec.
Innovation responsable
Avec une croissance de 16,4% de son chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente, Viandes Lafrance compte poursuivre sur sa lancée. Elle travaille sur un projet pour valoriser les peaux des animaux afin de produire un cuir québécois avec le centre collégial Écofaune boréale.
La PME souhaite investir 700 000$ dans les trois prochaines années dans le cadre de son plan stratégique. Elle mise notamment sur de la découpe de la viande en plus petits morceaux pour mieux servir les commerces qui peinent de plus en plus à trouver des bouchers.
« Notre modèle d’affaires est un chemin pour renverser la mondialisation, déclare Indira Moudi. Le mélange entre les Shawiniganais de la région et ceux qui viennent d’ailleurs est magnifique. Je crois que nous sommes le futur de la viande responsable et de la décarbonation. Notre terre le mérite. »
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