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Amélie Duceppe: leader incarnée qui mise sur la gestion horizontale

Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2024

Amélie Duceppe: leader incarnée qui mise sur la gestion horizontale

Amélie Duceppe se tourne vers ses employés lorsqu’elle doit prendre des décisions importantes. (Photo: Martin Flamand)

PDG DE L’ANNÉE 2024. Diversification des sources de revenus, révision des processus de création et des finances, visée écoresponsable, professionnalisation des méthodes de gestion… depuis qu’Amélie Duceppe a repris la direction générale du théâtre fondé par son grand-père il y a plus de 50 ans, l’établissement de la Place des arts, à Montréal a eu droit à une cure de rajeunissement qui lui sourit aujourd’hui.

Cette transition entamée en 2018 et célébrée par le Conseil des arts de Montréal et le journal « Les Affaires » est loin d’être un « one-woman show » d’après la principale intéressée. « Duceppe s’est tellement développé parce que les membres de son équipe ont eux aussi développé tout leur potentiel. C’est un succès d’équipe », dit la lauréate du prix PDG de l’année 2024 — OBNL.

Bien qu’elle en porte le nom, Amélie Duceppe n’était pas destinée à reprendre le flambeau des mains de sa tante, Louise Duceppe, à la tête du théâtre pendant plus de 45 ans. Après une brève incursion dans le monde du journalisme, c’est sur les plateaux de tournage qu’elle a passé les quinze premières années de sa vie professionnelle.

L’assise de son style de leadership s’est formée dans ce milieu exigeant où le droit à l’erreur semble parfois proscrit. Lors de la production de la série « Les Invincibles », elle a vu pour la première fois un environnement de travail où les gens s’entraidaient lorsqu’un impair était commis. « On finissait nos journées plus vite, dans la bonne humeur, sans avoir la peur au ventre de se tromper. Ça m’a tellement appris », se remémore-t-elle.

Sa piqûre de la gestion, elle l’a eue au cours des sept années qui ont suivi, lorsqu’elle a gravi les échelons d’un fournisseur d’équipement de tournage montréalais. « J’ai vu que c’était hypercréatif », dit celle qui est parvenue à freiner le taux de roulement en s’attelant au développement du potentiel de sa vingtaine d’employés.

Au début de la quarantaine, le décès de son beau-père provoque chez Amélie Duceppe une grande réflexion sur ce qui meublera le reste de sa vie. Au moment où elle se lance dans une maîtrise en gestion des organismes culturels à HEC Montréal, les discussions sur l’avenir du théâtre Duceppe se déroulent en filigrane.

Elle y campe donc un rôle de chargée de projet à temps partiel, ce qui lui permet alors de comprendre le fonctionnement de l’organisation, de se familiariser avec les défis rencontrés, mais aussi de « rêver au Duceppe de demain », et de participer aux balbutiements de son renouveau.

« Duceppe était en difficulté à l’époque, les ventes de billets étaient en chute libre, on accueillait un large public, mais pas autant qu’avant, et on avait une déconnexion avec notre milieu », raconte-t-elle.

Lorsqu’elle a finalement pris les rênes du théâtre en 2018, flanquée des nouveaux codirecteurs artistiques du théâtre, David Laurin et Jean-Simon Traversy, Amélie Duceppe a eu les coudées franches pour poursuivre cette transformation, en appliquant sa touche à la culture organisationnelle.

Miser sur l’agentivité

Pour mener à bien tous ses chantiers simultanément, la directrice a accordé davantage d’agentivité et d’autonomie au membre de son équipe, et ce, tôt dans son mandat.

Adepte de la gestion horizontale, la « cheffe d’orchestre » se tourne vers ses employés lorsqu’elle doit prendre des décisions importantes afin d’entendre leurs doléances ou leurs mises en garde.

« J’ai une vue d’ensemble. Certains choix sont faits pour éviter des problèmes ailleurs. Mais je tiens vraiment à leur contribution, dit-elle. Quand je suis arrivée, certains étaient là depuis 25 ans. […] Ce sont eux les experts. »

Cette responsabilisation doit toutefois aller de pair avec le droit à l’erreur, estime Amélie Duceppe. Autrement, ça mine l’innovation et l’expérimentation. Elle célèbre ces occasions de tirer des leçons. « Quand on se plante, on tente de comprendre pourquoi afin de ne pas reproduire [les erreurs]. »

Puisque la charge de travail a augmenté à un rythme plus grand que la taille de l’équipe, Duceppe a également eu à « professionnaliser ses façons de faire », ajoute la directrice générale. Le théâtre a notamment dû développer de nouveaux réflexes de communication et réviser nombre de politiques internes et de gestion d’équipe afin de les adapter à la réalité du marché de l’emploi d’aujourd’hui.

En créant ce climat de travail sécuritaire et agréable, où les employés sont stimulés et où leur créativité est récompensée, Amélie Duceppe parvient à les fidéliser, et ce, même si la rémunération qu’elle offre n’est pas aussi alléchante qu’ailleurs, faute de liquidité.

Cela dit, revoir les salaires figurera dans sa prochaine planification stratégique, dit la dirigeante.

Terreau pandémique fertile

Ses premières années n’auront pas été de tout repos, marquées par la crise sanitaire et les fermetures de salles. En même temps, ce bourbier a eu l’effet d’un terreau fertile propice pour faire des tests.

Ça a notamment permis de bâtir des ponts avec des institutions autrefois concurrentes et de déployer la série « En rappel », où Duceppe présente en supplémentaire des pièces qui ont bien fonctionné dans des théâtres partenaires.

« Tout le monde fait de temps en temps des reprises, mais pas selon un modèle aussi organisé. On a réservé notre salle pour les prochaines années, toujours fin novembre, décembre et au mois de mai. Administrativement, c’était un calvaire, mais là, on commence à trouver des façons de faire pour que ce soit moins difficile », dit-elle, allumée par l’initiative.

C’est également une manière viable de mutualiser les ressources d’un milieu toujours à court, d’autant que toutes les parties impliquées y trouvent leur compte. Les artistes travaillent plus longtemps, les théâtres où la pièce a initialement été jouée obtiennent leur part du gâteau, et l’équipe de Duceppe peut souffler un peu. Sans compter que ça permet de convertir de nouveaux adeptes.

« Ces spectacles-là, qui sont des succès avérés tant à la billetterie que d’après les critiques, sont un facteur d’acquisition vraiment important. […] Près de 20% de nos spectateurs ne sont jamais venus au théâtre comme adulte ou depuis au moins trois ans. Les autres en bénéficient donc aussi. »

Poursuivre sur cette lancée

Ce renouveau n’a pas plu à tous les abonnés. En revanche, s’ils n’avaient rien fait, d’autres seraient partis, estime la dirigeante du théâtre dont plus des deux tiers du budget sont épongés par la vente de billets.

« On ne voulait pas d’un changement discret. On souhaitait être francs, être fiers de nous et du travail accompli. On a fait le pari que ça donnerait envie d’en faire partie », dit-elle.

Ce changement de cap leur a également permis de gagner de nouveaux donateurs. Malgré la diversification des sources de revenus que l’organisation a déployée depuis quatre ans, elle souffre d’un déficit structurel annuel de 300 000 $ par année à cause de l’inflation des frais fixes.

Qu’à cela ne tienne, Amélie Duceppe et son équipe n’ont pas fini de retourner toutes les pierres afin de poursuivre leur mission et de créer plus d’empathie dans la société. « En culture, on est des ninjas du budget. […] Mon sport préféré, c’est quand j’ai un obstacle, et que je le “flip” de bord pour que ça devienne une occasion. »