L’EPI observe que la rémunération des PDG «a grimpé en flèche de 1 460% depuis 1978», pour atteindre 399 fois plus que la rémunération d’un travailleur type. (Photo: 123RF)
Selon le dernier rapport de l’Economic Policy Institute (EPI), la rémunération moyenne «réalisée» des PDG des 350 plus grandes entreprises américaines sera de 27,8 millions de dollars (M$) US en 2021, alors que la moyenne «accordée» était de 15,6M$ US. La différence entre «réalisé» et «accordé» est que le premier terme mesure toutes les options d’achat d’actions et les attributions lorsqu’elles sont encaissées, le second, lorsqu’elles sont annoncées. Par exemple, dans son rapport 2020, l’EPI a constaté que la rémunération «réalisée» s’élevait à 24,2M$ US, et la rémunération «accordée», à 13,9M$ US.
L’EPI observe que la rémunération des PDG «a grimpé en flèche de 1 460% depuis 1978», pour atteindre 399 fois plus que la rémunération d’un travailleur type. En 1965, la rémunération «réalisée» des PDG était 20 fois supérieure à celle d’un travailleur type, puis 30 fois en 1980 et 59 fois en 1990, avant d’être catapultée en une décennie à 393 fois en 2000. Elle a reculé à 200 fois en 2010, puis s’est accélérée pour atteindre le multiple actuel de 399. Au cours des 43 années entre 1978 et 2020, le salaire du travailleur typique a augmenté d’environ 18%, celui des PDG de haut niveau de 1 460%, dépassant de loin «la croissance de la productivité, des bénéfices ou des valeurs boursières au cours de cette période», souligne l’EPI.
Au Canada, les choses ne sont pas aussi spectaculaires, mais tout de même dramatiques. Les 100 PDG les mieux payés «ont enregistré leur deuxième meilleure année en matière de rémunération en 2020, malgré la pandémie de COVID-19», constate le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). La rémunération moyenne était de 10,9M$, soit 191 fois plus que le salaire moyen d’un travailleur au Canada. «À ce rythme, il faudra au travailleur moyen toute l’année pour accumuler ce que les PDG les mieux payés du Canada accumuleront juste avant le déjeuner (11 h 54) le 4 janvier — le premier jour de travail officiel de l’année», affirme l’auteur du rapport, l’économiste principal du CCPA, David Macdonald.
Le problème qu’il y a à lier la rémunération des PDG au cours des actions
La rémunération des PDG se compose généralement de trois éléments: le salaire de base, les primes et les composantes liées aux actions, habituellement les options d’achat d’actions et, de plus en plus, les attributions d’actions. Avec les options d’achat d’actions, les PDG ne peuvent réaliser que des gains, et non des pertes, même si le cours de l’action baisse.
En effet, de nombreuses entreprises «ont même procédé à des ajustements de la rémunération au rendement en 2020 afin de protéger les PDG de l’impact de la pandémie sur leurs actions ; mais lorsque les actions sont en hausse, nous ne voyons pas les mêmes ajustements», observe Jackie Cook, directrice de la stratégie des produits de gérance, équipe de gérance de Sustainalytics. Les attributions d’actions visent à aligner plus étroitement les objectifs des PDG sur ceux des actionnaires, puisque leur valeur peut augmenter ou diminuer en fonction de l’évolution du cours de l’action. Dans un tel système, un PDG peut chercher à faire grimper le cours de l’action, mais il doit aussi veiller à ne pas le faire baisser.
Cependant, il est loin d’être évident que le cours de l’action d’une société reflète fidèlement les performances du PDG. «Le cours de l’action peut être influencé par toutes sortes de facteurs indépendants de l’action du PDG, explique Jackie Cook. Et le fait de se concentrer sur les gains à court terme du cours de l’action peut nuire à la valeur à long terme.» La logique ici est que vous pouvez faire grimper le prix de l’action à court terme et tuer l’entreprise à long terme.
Nortel est l’exemple emblématique au Canada d’un tel comportement destructeur. Comme l’a révélé l’enquête de cet auteur sur Nortel au lendemain de son implosion, juste avant sa chute, les dirigeants faisaient tout ce qu’ils pouvaient imaginer pour faire grimper le cours de l’action ou, comme ils l’appelaient, la «valeur pour les actionnaires».
Lier la rémunération des PDG au cours de l’action ne fonctionne pas nécessairement
En passant en revue les 25 plus grandes entreprises américaines ayant fait faillite au cours des années précédentes, un article du Financial Times a calculé que leurs PDG étaient repartis collectivement avec 3,3 milliards de dollars en ventes d’actions et autres récompenses. Les critiques ont souligné que jamais autant de personnes n’avaient été tant payées pour réaliser si peu.
Une étude universitaire a montré que «les mesures de la rémunération excessive des PDG sont négativement liées aux rendements futurs des entreprises et aux performances opérationnelles. L’effet est plus fort pour les PDG plus confiants dans les entreprises dont la gouvernance est plus faible».
Une autre étude récente «a trouvé peu de chevauchement entre les PDG qui sont les plus performants et ceux qui gagnent le plus. […] L’approche typique de la rémunération des PDG basée sur des moyennes sous-rémunère considérablement les stars et surrémunère les performances moyennes.»
Pourquoi est-ce important? La rémunération des PDG est un élément clé de la bonne gouvernance.
Les facteurs ESG (environnement, société, gouvernance) font lentement leur chemin dans les plans de rémunération des PDG — en particulier le pilier de la gouvernance.
«N’oublions pas que la plupart des PDG d’aujourd’hui ne seront plus là pour rendre compte de la situation climatique en 2050», explique Jackie Cook. Pour l’instant, ajoute-t-elle, «nous constatons qu’une faible proportion des primes est allouée aux mesures ESG et que très peu de plans d’incitation à long terme contiennent des objectifs ESG.»
En définitive, Mme Cook convient que le fait de remettre en question la rémunération des PDG du point de vue de l’inégalité, de la performance des actions ou même de l’ESG ne répond pas à une question fondamentale: combien vaut un PDG? Probablement pas autant que ce que la plupart des PDG sont payés, suggère-t-elle.
Que vaut un PDG?
La réponse se trouverait peut-être dans un marché où les PDG sont en concurrence, mais un marché concurrentiel de ce type ne semble pas exister. Et puis il faut aussi tenir compte de la diversité, de l’équité et de l’inclusion.
«Environ 7% seulement des PDG du S&P 500 sont des femmes, souligne Mme Cook. En supposant qu’il y ait une plus grande concurrence pour les postes de direction de la part d’un plus grand nombre de talents, verrions-nous ces rémunérations de “rock star”?»
«On fait souvent l’analogie avec un repêchage, mais c’est faux, dit David Macdonald. Au Canada, seulement 25% des PDG ont été embauchés de l’extérieur, 75% ont été promus de l’intérieur et ont travaillé en moyenne 18 ans au sein de l’entreprise avant d’accéder au poste de PDG.» Comme le soulignent ce dernier et l’EPI, la rémunération des PDG est le produit du pouvoir managérial pour extraire des rentes (revenus supérieurs à la productivité réelle), et non d’une compétition pour les compétences.
Et cet exercice du pouvoir managérial semble exclusif aux PDG et ne s’étend pas aux 0,1% de salariés les mieux payés dont les revenus annuels ont augmenté de 385% entre 1978 et 2020, selon l’EPI. C’est toujours beaucoup plus que le salarié moyen, mais seulement un tiers de la croissance de 1 304% des PDG sur la même période.