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François Normand

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Analyse de la rédaction

Le transport maritime est-il un service essentiel?

François Normand|Mis à jour le 12 novembre 2024

Le transport maritime est-il un service essentiel?

Des navires en train de charger des conteneurs au port de Montréal. (Photo: AdobeStock)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. La question est délicate, mais il faut néanmoins la poser alors que le port de Montréal est frappé depuis dimanche soir par un cinquième conflit de travail en quatre ans: le transport maritime est-il un service (maritime) essentiel?

Certes, le ministre fédéral du Travail, Steven Mackinnon, vient de demander ce mardi au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) d’ordonner le retour au travail dans le port de Montréal et les ports de la Colombie-Britannique, incluant celui de Vancouver, où il y a aussi un arrêt des activités.

En revanche, est-ce une solution pérenne à long terme?

On exagère à peine en disant que les conflits de travail dans les ports canadiens — et on pourrait ajouter aussi dans le transport ferroviaire — sont aussi prévisibles que le printemps.

Bien entendu, cette analyse ne vise pas à nier le droit inaliénable à la grève et au lock-out. Ce droit fondamental enchâssé dans nos lois permet d’exercer des pressions et d’établir un rapport de force afin d’obtenir des gains, et ce, pour la partie syndicale ou la partie patronale.

Cela dit, dans tous les cas de figure, une grève ou un lock-out entraîne toujours aussi des répercussions sur les parties prenantes extérieures, forçant l’une des deux parties à céder ou incitant syndicats et patrons à accepter un compromis acceptable sous la pression populaire.

C’est pourquoi les conflits de travail se règlent généralement rapidement et ne nécessitent donc pas l’intervention des gouvernements — comme celle du ministre fédéral du Travail, Steven Mackinnon.

Pourquoi dans ce cas se demander si le transport maritime est un service essentiel?

Cinq conflits au port de Montréal en 4 ans

Parce que nous sommes rendus à cinq conflits de travail en 52 mois au port de Montréal:

Août 2020: les débardeurs ont déclenché une grève générale illimitée le 10 août 2020, qui a duré jusqu’au 21 août 2020.

Avril 2021: les débardeurs ont déclenché une grève générale illimitée le 26 avril 2021. Ottawa est intervenu en adoptant une loi spéciale le 30 avril 2021, forçant le retour au travail des travailleurs.

Septembre 2024: les débardeurs ont entamé une grève partielle de trois jours à partir du 30 septembre 2024, affectant les terminaux Viau et Maisonneuve.

Octobre 2024: les débardeurs ont déclenché une grève partielle illimitée qui a débuté le 31 octobre 2024, ciblant à nouveau les terminaux Viau et Maisonneuve.

Novembre 2024: l’Association des employeurs maritimes (AEM) a déclenché un lock-out le dimanche 10 novembre.

Deux constats s’imposent dans ce contexte.

D’une part, des entreprises, des travailleurs au sein de ces entreprises et des citoyens pâtissent régulièrement de ces conflits de travail à répétition, au Québec et dans l’est du Canada.

Plusieurs PME et travailleurs se retrouvent même en difficultés financières, parce qu’elles manquent d’intrants pour terminer des produits finis ou qu’elles manquent de produits finis importés pour les vendre au Canada, ce qui affecte leurs revenus.

D’autre part, le service maritime à Montréal n’est plus jugé fiable et prévisible par des armateurs internationaux.

Lundi, sur les ondes de la radio de Radio-Canada, la PDG de l’Administration portuaire de Montréal (APM), Julie Gascon, a indiqué qu’il transitait pour 400 millions de dollars (M$) de marchandises par jour au port, générant des retombées économiques locales de 268M$ par jour.

Manque de stabilité dans l’ensemble des transports

Le port de Montréal perd même des volumes en raison de sa mauvaise réputation, dénonçait récemment à Les Affaires Julie Gascon, qui gère les infrastructures portuaires.

C’est sans parler des six interruptions du transport ferroviaire au Canada depuis 12 ans (cinq grèves et un lock-out), selon un décompte effectué par La Presse canadienne.

  • 2012: grève de 9 jours au Canadien Pacifique ;
  • 2015: grève de 2 jours au Canadien Pacifique ;
  • 2018 : grève de 16 heures au Canadien Pacifique;
  • 2019 : grève de 8 jours au Canadien National;
  • 2022 : grève de 2 jours et demi au Canadien Pacifique;
  • 2024 : lock-out de 24 heures au Canadien National et au Canadien Pacifique Kansas City.

Force est de constater que nous semblons avoir perdu un équilibre dans les relations du travail.

Il faut donc faire en sorte que les arrêts de travail soient moins nombreux et que le service maritime – et ferroviaire – soit plus fiable et prévisible, tout en respectant le droit à la grève et au lock-out.

Cet équilibre à retrouver représente tout un défi, car il met en concurrence des droits fondamentaux dans notre société et dans la plupart des démocraties libérales:

  • Le droit à la grève qui est un élément indispensable dans le processus pour négocier des conventions collectives;
  • Le droit collectif de vivre dans une société où il n’a pas d’atteinte à la santé et à la sécurité économique des citoyens – et on pourrait ajouter à celle des entreprises et des travailleurs dans les autres secteurs.

Sortir des sentiers battus

C’est pourquoi la notion de service essentiel appliquée au transport des marchandises peut s’avérer être une piste de réflexion intéressante à défricher.

Bref, il faut sortir des sentiers battus.

Au Québec, la notion de service essentiel s’applique aux services publics et au réseau de la santé et des services sociaux, dont l’interruption «peut avoir pour effet de mettre en danger la santé et la sécurité publique», selon le Tribunal administratif du travail.

Au fédéral, on estime qu’un service est essentiel quand il est «nécessaire à la sécurité publique, ou d’une partie du public, à un moment donné», selon le gouvernement canadien.  

Ces services essentiels comprennent le paiement des prestations d’assurance-emploi, des prestations du Régime de pensions du Canada, des prestations de soutien du revenu versées aux anciens combattants ainsi que des prestations de la sécurité de la vieillesse.

Certes, plusieurs personnes s’opposeront sans doute à l’idée d’étendre la notion de service essentiel à des activités économiques comme le transport de marchandises.

Il est vrai qu’il faut être prudent avec cette extension.

La sécurité économique des entreprises et des travailleurs

En revanche, au niveau fédéral, quand on y regarde de plus près, la notion de service essentiel cherche avant tout à garantir la sécurité économique des citoyens.

Par exemple, en s’assurant que les chômeurs reçoivent en tout temps leurs prestations d’assurance-emploi tout comme les retraités avec les prestations du Régime de pensions du Canada.

Eh bien, les arrêts de travail à répétition dans le port de Montréal – ou pour le service ferroviaire – sont aussi une forme d’atteinte à la sécurité économique de milliers de PME et de travailleurs au Québec et au Canada.

Aussi, le statu quo n’est plus vraiment une option.

Il va donc falloir innover collectivement afin de trouver une solution pour apaiser les relations du travail dans les transports, tout en s’assurant que les interruptions de service ne se traduisent pas chaque fois par un tremblement de terre économique.

Cela dit, tout en respectant le droit à la grève et au lock-out.