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Une chaîne d’approvisionnement vulnérable

Jean-François Venne|Édition de la mi‑novembre 2024

Une chaîne d’approvisionnement vulnérable

Devant la menace d’une grève, les dirigeants du CN et du CPKC ont décrété un lock-out le 22 août dernier, visant les 9300 travailleurs des chemins de fer représentés par un syndicat Teamsters. (Photo: Adobe Stock)

LOGISTIQUE ET APPROVISIONNEMENT. Les arrêts de travail dans le transport et dans les ports constituent un risque important à la chaîne d’approvisionnement canadienne. Malgré sa très courte durée, le lock-out au CN et au CPKC a affecté plusieurs entreprises.

Devant la menace d’une grève, les dirigeants du CN et du CPKC ont décrété un lock-out le 22 août dernier, visant les 9300 travailleurs des chemins de fer représentés par un syndicat Teamsters. L’interruption a finalement été brève, en raison d’une intervention rapide et controversée du gouvernement fédéral. Cela n’a pas empêché des entreprises d’en subir les contrecoups.

« Nous achetons de fournisseurs situés dans plusieurs autres pays, et même les produits que nous achetons au Canada sont fabriqués avec des pièces qui viennent de l’étranger, donc des problèmes dans la chaîne de transport au Canada, c’est difficile pour nous », explique Paul Le Brun, président de Brault et Bouthillier. Cette entreprise fournit de l’ameublement et des ressources éducatives aux écoles, et vend aussi des jeux et des jouets pour enfants.

Ses coûts de transport ont commencé à grimper fortement au printemps, dès les premières menaces de grève. « Nos frais de transport pour les importations ont augmenté de presque 50 % et nous avons connu des bris d’approvisionnement, entre autres du côté de nos fournisseurs de meubles qui manquaient de matières premières, raconte Paul Le Brun. Des écoles n’avaient pas encore reçu leur matériel lors du début de leurs activités cet automne. »

Paul Le Brun admet qu’il n’y a pas de plan B lors d’une telle crise. « Nous ne pouvons pas changer de mode de transport à court terme, car l’industrie du camionnage n’a pas la capacité d’absorber plus de produits, note-t-il. Les coûts du transport par camion explosent dans de telles situations. Et on ne peut pas non plus conserver de gros stocks juste au cas où un conflit surviendrait. »

Il s’inquiète maintenant des relations de travail qui se sont dégradées au port de Montréal et qui pourraient compromettre encore son approvisionnement. « Noël s’en vient et c’est une période cruciale pour la vente de nos jeux et jouets importés d’Europe », confie-t-il.

Pas de plan B

Le syndicat des Teamsters a soutenu que l’imposition d’un arbitrage exécutoire par le gouvernement fédéral allait à l’encontre des droits des travailleurs garantis par la Charte des droits et libertés. Il a d’ailleurs contesté cette décision devant la Cour d’appel fédérale. Le NPD et le Bloc québécois ont aussi déploré cette manière d’agir. Mais de nombreuses voix des milieux des affaires canadiens et américains avaient au contraire réclamé une intervention rapide dès le début du conflit.

« La raison pour laquelle nous nous sommes prononcés si vite, c’est que les répercussions d’un tel arrêt de travail se font sentir très rapidement dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du pays », explique Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Il estime qu’il est très difficile pour les entreprises, en particulier les PME, d’envisager des solutions viables lors d’un conflit de travail chez un acteur aussi important que les chemins de fer. « Le coût pour recourir à un autre mode de transport à la dernière minute est exorbitant, et souvent ce n’est pas possible, car les camions sont déjà utilisés au maximum de leur capacité, note-t-il. Certaines pièces ont en outre besoin d’un transport adapté que seul le train peut leur fournir, par exemple parce qu’elles sont très volumineuses et lourdes. »

Apaiser les relations de travail

« La majorité des commerces ont entre quatre à sept jours de stock, donc même un arrêt de travail de trois jours suffit à les amener près de la fermeture », explique Alexandre Gagnon, vice-président au travail et au capital humain de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Il rappelle que les perturbations se sont fait sentir avant l’arrêt de travail. Dès le 13 août, le CN et le CPKC ont commencé à interrompre des livraisons en prévision d’une grève ou d’un lock-out. « Les effets se poursuivent plusieurs semaines après la reprise du travail, puisqu’il faut du temps pour désengorger les entrepôts de conteneurs et reprendre le retard accumulé », souligne-t-il.

La vaste majorité des entreprises n’ont pas de solution de rechange viable dans ce genre de crise. Or, la dernière année a été tendue dans les relations de travail au CN, au CPKC, au port de Vancouver (deux arrêts de travail récents) et au port de Montréal. « Cela affecte la confiance de nos partenaires internationaux, croit-il. Le gouvernement fédéral doit s’asseoir avec les acteurs du transport pour pacifier les relations de travail. »